Si moi, j’ai Théo, avec qui
ça se passe bien, très bien même, du moins pour le moment, si Iourievna tombe
amoureuse tous les trois jours et oublie l’heureux élu aussi vite qu’elle s’est
enflammée pour lui, avec Elena, par contre, les choses sont beaucoup plus
compliquées. Elle finit toujours par se trouver, bien malgré elle, dans des
situations inextricables. Et, la plupart du temps, conflictuelles. Comme là,
ces derniers temps, avec Adilson.
C’est pas le mauvais bougre, Adilson. Non.
C’est juste qu’en bon sud-américain, il est résolument macho et très imbu de
lui-même. Alors, il drague. Ça, pour draguer, il drague. Il drague comme il
respire. Toutes les filles. Sans distinction. Nous aussi, Iourievna et moi, on
y a eu droit. On lui a fait gentiment comprendre qu’on n’était pas intéressées
et il n’a pas insisté. Il est aussitôt passé à d’autres.
Avec Elena, par
contre, les choses ont tout de suite dégénéré. Selon elle, par sa faute à lui.
Uniquement par sa faute à lui. « Non, mais attends ! Tu lui dis au
type que c’est bon, que ça t’intéresse pas. Et faut qu’il revienne aussi sec à
la charge. » Reste à savoir sur quel ton elle le lui a dit. « Ben,
un ton normal ! » Et le problème est sûrement là. Parce qu’un ton
normal pour elle, surtout quand elle s’adresse aux garçons, c’est un ton qui
flirte toujours de très près avec l’agressivité. « Oui, ben ça, j’y
peux rien, moi, hein ! C’est ma façon de parler. » Et, à tous les
coups, il s’est vexé, Adilson.
Ce
que m’a confirmé Théo. Parce que si nous, les filles, on parle entre nous, les
garçons, eux aussi ils parlent entre eux, quand on n’est pas avec. Et ce qu’il
raconte à qui veut l’entendre, Adilson, c’est qu’elle l’a allumé. « Et
pas qu’un peu ! Seulement quand il s’agit d’assumer, là, il y a plus
personne. » Elle s’en est étranglée de fureur, Elena. « L’allumer,
moi ? Cet espèce d’abruti ? Dans ses rêves, oui ! » Du
coup, c’est à couper au couteau maintenant entre eux. Ils n’arrêtent pas de
s’envoyer des piques à tout bout de champ. De se défier du regard.
Les
professeurs s’en rendent compte, évidemment, et sont obligés de les rappeler
constamment à l’ordre. Du côté des élèves, deux camps ont fini par se
former : l’un, plutôt des filles, qui soutient Elena. Qui trouve qu’il y
en a assez de ces garçons qui se croient tout permis, qui s’imaginent qu’il
suffit qu’ils claquent des doigts pour qu’on s’allonge docilement, les cuisses
ouvertes. Et l’autre, plutôt des garçons, qui pense qu’Elena s’est délibérément
fichue d’Adilson et qu’elle a voulu le ridiculiser devant toute l’école. Que
c’est un peu normal, du coup, qu’il l’ait mal pris et qu’il veuille lui rendre
la monnaie de sa pièce. Ça a fini par prendre des proportions énormes, tout ça,
et par susciter une sorte de climat de guérilla permanente qui maintient tout
le monde sous pression et qui n’est guère propice aux études. Tant et si bien
qu’au bout du compte c’est remonté jusqu’au bureau de la directrice qui les a
convoqués. Et reçus l’un après l’autre.
On
l’a attendue en bas, Elena.
« Alors ?
‒ Oh,
ben alors, ça s’est pas trop mal passé. Plutôt bien même. J’ai minimisé. Tant
que j’ai pu. J’ai fait preuve de la meilleure volonté du monde. Ça devrait
s’arranger du coup. À condition qu’Adilson y mette aussi du sien. Il y est
maintenant. C’est son tour. Elle nous dira, Léa.
Elle
nous a effectivement dit. Elle nous a dit qu’Adilson l’avait chargée tant qu’il
avait pu. Qu’il avait prétendu qu’elle le cherchait sans arrêt.
‒ Soi-disant,
même, que tu lui aurais flanqué une baffe !
‒ Quoi !
Mais jamais de la vie ! Qu’est-ce que c’est que cette histoire ?
‒ Et
qu’il y aurait des témoins.
‒ Des
témoins ? Qui ça ?
‒ Clément.
Entre autres.
‒ Mais
c’est dégueulasse. C’est immonde. Si je l’avais là, devant moi, je sais pas ce
que je lui ferais, tiens ! »
Toujours
est-il qu’elle a été reconvoquée le soir même, mais ça, avec la directrice,
fallait s’y attendre. Et que, cette fois, ça s’est pas bien passé du tout. Léa
était d’ailleurs furieuse.
« Non,
mais attends ! Moi, je fais tout pour t’arranger le coup, pour calmer le
jeu et toi, tu te déchaînes. Une vraie folle hystérique.
‒ Je
supporte pas qu’on m’accuse quand j’ai rien fait.
‒ Oui,
mais c’est la directrice. T’as vu comme tu lui as parlé ? Limite si tu
l’as pas insultée.
‒ Pourquoi
elle le croyait, lui, et pas moi ? C’était pas juste.
‒ En
tout cas, t’as entendu ce qu’elle t’a dit. T’as intérêt de te tenir à carreau,
sinon c’est le conseil de discipline. Et le conseil de discipline, tu sais sur
quoi, en général, ça débouche.
Elle
savait, oui ! Et c’était une perspective qui la terrorisait.
Aussi
a-t-elle pris soin d’ignorer Adilson autant qu’elle le pouvait. Et s’est-elle
efforcée de ne pas répondre aux provocations sournoises qu’il multipliait comme
à plaisir. Surtout en sport. Au basket, entre autres. Petits coups d’épaule par
ci, jambe tendue par là pour la faire tomber. Elle ne ripostait pas. Jusqu’au
moment où elle ne pouvait plus s’en empêcher. Trop, c’était trop. Et elle ruait
dans les brancards. Tant et si bien qu’on finissait par ne plus savoir, vu de
l’extérieur, qui avait commencé à titiller l’autre. Et ce qui devait arriver a
fini par arriver. Hors d’elle, Elena s’est jetée sur lui, lui a balancé une
dizaine de gifles, à toute volée, et l’a bourré de coups de pied.
Léa
a hoché la tête. Et soupiré.
‒ Alors
là, elle a tout gagné ! »
Elle
avait tout gagné, oui. Parce qu’évidemment le prof de gym a fait son rapport et
que, le soir même, ils ont été à nouveau convoqués, tous les deux, par la
directrice. Ensemble. En présence de Philippe M. bien sûr, de la prof
principale et de Léa.
Léa
qui est sortie de là-dedans une fois de plus hors d’elle.
« Non,
mais alors là, c’est bon ! Cette fois, je la défends plus. Elle se démerde.
‒ Qu’est-ce
qu’il y a eu ?
‒ Il
y a eu qu’elle s’est encore énervée, il y a eu. Une fois de plus. Et qu’elle
s’est carrément jetée sur Adilson. Comme une furie. À vouloir lui donner des
baffes. Il a fallu les séparer. Voilà ce qu’il y a eu.
‒ Hou
là là !
‒ Comme
tu dis, oui.
‒ Et
c’est le conseil de discipline du coup ?
‒ Ah,
ben ça ! Et sûr qu’elle va prendre cher.
‒ Elle
est où ?
‒ Je
sais pas. Elle a filé vers le gymnase. Elle pleurait comme une
madeleine. »
C’est
là qu’on l’a trouvée, au gymnase, affalée sur un banc.
« Ils
vont me le faire, les filles, hein ? Ils vont me le faire…
Pour
la rassurer, on a nié l’évidence.
‒ C’est
pas sûr.
‒ Bien
sûr que si que c’est sûr ! Mais je veux pas, moi ! Je veux pas !
J’aurai bien trop honte.
On
l’a prise dans nos bras. On lui a tenu la main.
‒ Là !
Là ! C’est tout.
Elle
s’est un peu calmée. Et puis s’est redressée d’un bond.
‒ Pas
devant lui ! Pas devant ce connard ! Je le supporterai pas.
On
l’a raccompagnée. Et on a passé la soirée avec elle. Dans sa chambre. À essayer
de la réconforter. De la faire parler d’autre chose. De lui changer les idées.
Mais c’est sans arrêt qu’elle revenait à « ça »
‒ C’est
pas de ma faute, hein, les filles ? C’est lui.
C’était
lui, oui. Qui avait bien su profiter de ce qu’elle montait très vite en
pression pour tout lui faire retomber dessus.
‒ C’est
ce qu’il me dit aussi, mon père ! Que c’est ce qu’il pourrait m’arriver de
mieux finalement, une bonne fessée devant tout le monde. « Ça te
servirait de leçon. Ça t’apprendrait à te contrôler Ce qui te ferait le plus
grand bien. »
Elle
s’est remise à pleurer.
‒ Je
pourrai pas. Toute nue. Devant tout le monde. À me faire fouetter, comme ça. Je
pourrai jamais.
‒ C’est
dur, oui. On y est passées. On va pas te dire le contraire. C’est même très
dur. Mais on s’en remet. La preuve !
‒ Pas
moi ! Je crois pas. J’y arriverai pas. »
Théo
était allé boire un coup avec son pote Sylvain. Et ils étaient tombés, sans le
faire exprès, sur Adilson et toute sa clique. Qui fêtaient ce qu’ils appelaient
la victoire. « Non, mais comment je l’ai bien eue, les mecs !
Comment je l’ai bien eue ! Ça va lui rabaisser un peu son caquet. » Et
ils se régalaient tous par avance de lui voir fouetter le derrière. Et qu’elle
soit obligée de tout montrer. « Ah, ça, elle va mal le vivre.
Orgueilleuse comme elle est. » D’autant plus mal le vivre qu’ils
étaient bien décidés à lui en faire baver. Avant. Pendant. Et après. « Non,
parce que si elle s’imagine qu’une nana peut s’en prendre comme ça à nous sans
payer la note ! »
Du
côté des filles, c’était partagé. Il y avait celles qui la plaignaient.
Sincèrement pour la plupart. Il y avait celles, comme Mylène et Margaux, qui se
réjouissaient ouvertement. Mais elles, de toute façon, ce genre de spectacle,
elles ne boudent jamais leur plaisir. Surtout quand c’est une fille qui
ramasse. Et il y en avait d’autres qui trouvaient, elles aussi, que finalement
ça lui ferait pas de mal à Elena de s’en prendre une. « Parce que,
depuis le temps qu’elle répète haut et fort, à qui veut l’entendre, qu’elle y a
toujours échappé et qu’elle y échappera toujours… » On comprend bien,
avec Iourievna, pourquoi elle réagit comme ça. C’est qu’elle a une telle peur
panique de la fessée qu’elle essaie de se persuader, en le répétant tant et
plus, que ça ne lui arrivera jamais. Mais on comprend bien aussi que ça puisse
les agacer, les autres filles. Parce que ça fait celle qui se croit au-dessus
de tout le monde.
Le
mardi, le conseil de discipline a décidé, comme on s’y attendait, de lui faire
administrer soixante coups de martinet en public. Et toute nue. Elle en est
sortie totalement abattue. Prostrée. Impossible, pendant toute la durée du
trajet en car, de lui arracher le moindre mot.
« Laissez-moi,
les filles ! Je vous en supplie ! Laissez-moi ! »
Et
elle a sangloté tout du long.
Le
lendemain, elle avait une tête à faire peur, les traits tirés, les yeux cernés.
« J’ai
pas fermé l’œil de la nuit.
Sa
nuit, elle l’avait passée à se remémorer, en boucle, toutes les fessées
auxquelles elle avait assisté à Sainte-Croix.
Celle
de Laura.
‒ Comment
elle criait ! Non, mais comment elle criait ! Et puis alors comment
elle les avait rouges, les fesses !
Celle
de Léa.
‒ Ces
regards qu’elle jetait tout autour d’elle ! Des regards de bête traquée.
Celle
de Sixtine.
‒ Qu’il
a fallu aider à se relever. Qu’a pas pu s’asseoir pendant trois jours. Et même…
Et même toi, Iourievna.
‒ C’était
pas une partie de plaisir, ça ! Mais bon, j’en suis pas morte. Et puis, il
faut reconnaître… Je l’avais bien un peu mérité.
Oui,
mais quand même ! Tous les garçons l’avaient vue. Surtout que ça avait
bien tout montré quand elle gigotait dans tous les sens. Ils devaient bien y
penser quand ils la voyaient. Chaque fois qu’ils la voyaient…
‒En
tout cas, moi, je vais les garder bien serrées, les cuisses. Alors là !
Iourievna
n’a pas répondu, mais elle a eu son petit sourire entendu.
‒ N’empêche,
comment j’ai peur ! Non, mais comment j’ai peur ! »
Le
jeudi, ça a été tout un défilé de filles qui venaient aux nouvelles, l’air
faussement apitoyé.
‒ Alors ?
T’appréhendes pas trop ?
Elle
s’efforçait de donner le change. Haussait les épaules.
‒ Faut
faire avec. J’ai pas le choix, n’importe comment !
Elles
repartaient en riant sous cape.
Mylène,
elle, a voulu savoir.
‒ T’es
épilée ? Parce que c’est obligatoire, ça, tu sais ! Tu l’as
fait ? Hein ? Tu l’as fait ? Non, tu l’as pas fait. Je peux,
moi, si tu veux. J’ai l’habitude. Tu sentiras rien.
‒ Non.
Ça ira, merci.
‒ Ben,
pourquoi ? De toute façon, faudra bien que t’y passes.
‒ C’est
bon, j’te dis !
‒ Ce
que tu peux être coincée !
‒ Non,
c’est pas ça, mais…
‒ Ah,
si, c’est ça ! Si ! Qu’à la piscine tu te tortilles toujours sous ta
jupe pour mettre et enlever ton maillot.
Margaux
a surenchéri.
‒ Et
même que tu te détournes vers le mur pour pas qu’on voie tes nibards.
‒ Sauf
que là, tu vas bien être obligée de la montrer, ta petite chatte.
‒ Et
tes mamelles.
‒ On
va bien se régaler.
‒ Et
on sera pas les seules.
Et
elles se sont éloignées dans un grand éclat de rire.
‒ Quelles
connes !
‒ Ah,
ça, tu l’as dit ! »
C’est
Théo qui nous a prévenues.
« Ils
l’attendent dehors.
‒ Qui
ça ?
‒ Ben,
les copains d’Adilson, tiens ! Ils veulent lui faire une haie d’honneur.
Et un brin de conduite.
‒ Ils
sont nombreux ?
‒ Une
douzaine.
‒ Il
y est, lui ?
‒ Non.
Pas fou. Il veut pas se mettre dans son tort.
C’est
Iourievna qui a eu l’idée.
‒ Il
y a une porte derrière le gymnase qui donne sur une petite rue. Suffirait qu’on
demande au prof de gym qu’il nous l’ouvre.
Philippe
M. a refusé tout net.
‒ Certainement
pas. Tu assumes tes bêtises.
Il
ne nous restait plus d’autre solution que le grand portail d’entrée. On a
attendu. On a tergiversé. Et puis il a bien fallu finir par se jeter à l’eau.
‒ On
va pas passer la nuit-là.
Dès
qu’ils l’ont aperçue, ça a été une grande salve d’applaudissements.
‒ Ah,
v’là la vedette !
‒ On
a hâte de te voir sur scène, ma chérie, si tu savais !
‒ Ce
récital que tu vas nous faire !
‒ Oh,
oui, hein !
Et
ils se sont tous mis à scander, sur l’air des lampions :
« Elena ! Elena ! Elena ! »
Ça
nous a poursuivies longtemps. Jusqu’à l’angle de la rue Debussy.
Et Iourievna ? On la connait
Je veux ! Elena nous l'a longuement présentée mais si vous êtes passés à côté, voici le premier épisode de la série : le chapitre 1
Il y a un début à cette série
Mais si vous voulez lire ce récit d'un autre point de vue : les rebelles chapitre 13 - acte 1
Et la suite ?
François nous a écrit le chapitre 13 acte 2
N'hésitez pas pour les commentaires
Tout le monde les attend : que pensez-vous de cette série croisant l'imaginaire d'Elena et celui de François ?
Bonjour François,
RépondreSupprimerJ'adore les précisions apportées par votre texte, en complément du mien. J'adore cette complicité que nous avons.
Merci.
Elena.
Bonjour, Elena. Et bonjour à tous.
RépondreSupprimerOui. C'est la première fois que je me coule, comme ça, dans un autres univers que le mien. Jusque là, j'étais seul maître à bord. C'est une expérience enthousiasmante. Il faut dire aussi que nos imaginaires se font remarquablement bien écho.
Amicalement.
François