On
avait décidé de fêter la fin de l’année tous ensemble. Tous. Elena. Lyana.
Moana. Lisendro. Lucia. Gloria. Et aussi mes deux sœurs, Ekaterina et
Iourievna. Et puis, bien sûr, Théo. Mon petit Théo à moi.
On est d’abord allés se promener sur la plage. On s’est arrêtés au Barberousse, notre bar préféré, où on a bu des chocolats chauds. On était bien là, à discuter et à rigoler tous ensemble. Du coup, Lisendro a proposé qu’on prenne l’apéritif.
« Pour
une fois qu’on est tous réunis…
On
était d’accord, oui. L’apéritif. Mais alors juste un. Fallait pas que ça
dégénère.
Ça
a été juste un. Et puis un deuxième.
‒ C’est
pas pour deux !
Un
troisième. Et puis encore d’autres.
‒ N’importe
comment quand on aime on ne compte pas.
Et
Moana a éclaté de rire.
On
commençait à être plus ou moins pompettes. À parler fort. À raconter tout un
tas de bêtises. À embêter les gens autour. Et le patron nous a dit de nous
calmer, que sinon il allait être obligé de nous foutre à la porte.
‒ Mais
oui ! C’est ça ! C’est ça ! Allez, à boire, tavernier !
Il
nous a encore rappelés à l’ordre. Plusieurs fois. Et puis il a fini par mettre
sa menace à exécution.
‒ Vous
avez assez bu…
Quand
on a été dehors, Lyana a dit qu’il savait pas de quoi il parlait, cet imbécile,
et qu’on allait en trouver des bouteilles.
‒ Autant
qu’on en voudra. Et même que ça nous coûtera nettement moins cher…
On
en a fait une bonne provision et… À la tienne ! À la mienne ! En
déambulant dans les rues et en chahutant tout ce qu’on savait. Si bien qu’il y
a des gens qui se sont mis à râler.
‒ Ta
gueule, vieux con !
Et
je sais plus qui, mais il y a quelqu’un qu’a proposé qu’on aille chercher des
pétards et des feux de Bengale. Qu’on s’est mis à jeter un peu partout dans les
rues et dans les jardins, surtout ceux des maisons des riches. Il y avait de
plus en plus de gens qui nous criaient après, mais on s’en fichait. On était
complètement désinhibés. On les insultait et on leur faisait des doigts
d’honneur.
Après,
au lotissement, c’est aux poubelles qu’on s’en est pris. On a jeté des tas de
pétards dedans, ce qui les renversait ou les faisait sauter. Et nous, ça nous
faisait exploser de rire. Jusqu’au moment où ça a pris feu. Qu’elles se le sont
communiqué les unes aux autres le feu, les poubelles. Que ça a fait un grand
brasier et qu’il y a tout un tas de gens qui se sont mis aux fenêtres ou qui
sont sortis. Ça commençait à craindre, là. À craindre vraiment. Et on s’est
vite rapatriés, chacun chez soi.
Le
lendemain, c’est maman qui nous a réveillées. Sur le coup de midi.
« Bon,
vous vous levez, les filles ? Il serait temps, non ?
Elle
a ouvert les rideaux en grand.
‒ Vous
étiez où, cette nuit ?
Elle
nous a réveillées d’un coup, sa question.
‒ Moi,
avec Mbe.
‒ Et
moi, avec Théo. Pourquoi ?
‒ Parce
qu’il y a tout un groupe qui a semé une pagaille monumentale en ville. Il y en
a deux qui sont au poste ce matin.
‒ Ah,
oui ! Qui, ça ?
Sur
un ton aussi détaché que possible.
Elle
savait pas.
‒ Mais
deux filles, à ce qu’il paraît. »
Théo,
qui est passé dans l’après-midi, savait, lui.
« Lyana
et Moana. Il y a des gens qu’ont dit qu’ils les avaient reconnues.
‒ Elles
vont tout déballer si ça se trouve. Et on va remonter jusqu’à nous.
Il
croyait pas, non.
‒ Elles
ont soutenu mordicus qu’elles y étaient pour rien. Qu’on avait cru les voir,
mais que c’était pas elles. Et ils les ont libérées. Faute de preuves. Non,
détendez-vous, les filles ! Détendez-vous ! Ça va bien se passer…
Tout
en parlant, il arrêtait pas de jeter des tas de coups d’œil en douce sur le
dessin que Mylène avait fait d’Iourievna toute nue et qu’elle, elle avait
accroché au mur. De plus en plus de coups d’œil.
‒ Non,
mais ça va ! T’es tranquille ?
Il
y a eu, dans ses yeux, cet éclair canaille que j’aime tant.
‒ Elle
pourrait pas m’en faire un de toi, Mylène ?
‒ Et
puis quoi, encore ?
Il
a fait sa moue de petit garçon boudeur.
‒ Oh,
si, va ! S’il te plaît !
‒ Même
pas en rêve ! »
Mais
ça me faisait trop plaisir qu’il en ait envie.
Maman
a reposé sa fourchette à côté de son assiette.
« Ah,
oui, tiens, à propos, j’ai vu Magali A., cet après-midi…
Magali
A., la mère de Lyana et de Moana.
On
est restées impassibles.
‒ Ah,
oui ? Qu’est-ce qu’elle voulait ?
‒ Elle
va réunir un conseil des mères. Et elle veut que j’en fasse partie.
‒ Un
conseil des mères ! Mais pour quoi faire ?
‒ Pour
juger ses deux petites morveuses. Parce qu’elle les a tirées des griffes des
gendarmes, bon, ça, c’est une chose, mais il n’empêche qu’elle est persuadée
qu’elles sont coupables. Et moi aussi. Parce que je les ai vues. Deux petites
pestes insolentes qui ont décidé de se murer dans un silence arrogant. Oh, mais
on va le leur faire dire. On leur fera dire. Et elles seront punies en
conséquence. C’est trop grave : il y a des choses qu’on ne peut pas
laisser passer.
Elle
a replié sa serviette.
‒ Non,
vous avez très bien fait de vous tenir à l’écart de tout ça, vous deux !
Elle
s’est levée.
‒ Mais
il y a d’autres situations dans lesquelles vous auriez été bien inspirées de
faire la même chose.
J’ai
froncé les sourcils.
‒ Comment
ça ?
Elle
n’a pas répondu.
‒ Débarrassez
la table, les filles !
Et
elle est partie.
On
s’est regardées interloquées, Iourievna et moi.
‒ Qu’est-ce
qu’elle a voulu dire ?
‒ Alors
ça ! »
Elena
avait des nouvelles.
« Ah,
oui ! Quoi ?
‒ Elles
vont passer en conseil des mères.
Oui,
ben ça, on savait.
‒ Et
Magali A. a demandé à Sœur Marie-Zénaïde de venir.
‒ Qui
c’est, celle-là ?
‒ Vous
savez pas, c’est vrai ? Oh, ben Sœur Marie-Zénaïde, c’est la religieuse
qui est chargée, dans les prisons, de punir les délinquantes qui font les
fortes têtes. Avec un fouet de discipline qu’elle emporte partout avec elle. Et
je peux vous dire qu’une fois qu’elles lui sont passées entre les mains, les
prisonnières, elles filent droit. Douces et dociles comme des agneaux. Elles
rampent à ses pieds. Alors si jamais les
mères estiment que Lyana et Moana sont coupables, ce qu’elles vont probablement
faire…
‒ Tu
crois ?
‒ Apparemment,
elles en sont déjà pratiquement toutes convaincues.
Iourievna
a abondé dans son sens.
‒ Oui.
La nôtre l’est en tout cas…
‒ Eh
ben, je voudrais pas être à leur place. Elles vont passer un sacré sale quart
d’heure.
‒ Elles
vont pas nous dénoncer au moins ?
‒ Alors
ça ! Si elle a décidé de leur faire dire qui il y avait avec elles, elles
le diront. Elles pourront pas faire autrement.
J’ai
soupiré.
‒ Bon,
les filles ! On parle d’autre chose. Ça vaudra mieux. »
Le
lendemain, ce qui nous a réveillées, c’est qu’il y avait des voix en bas dans
la cour. Plusieurs.
Iourievna
a sauté du lit. S’est précipitée à la fenêtre.
« Je
vois rien. Ah, si !
Elle
a poussé un cri.
‒ Mais
qu’est-ce qu’il fout là, lui ?
‒ Qui
ça ?
‒ Ben
Mbe… Je lui avais pourtant interdit. Tant qu’il aura pas choisi entre Evenye et
moi, je veux pas le voir. C’est pourtant clair, non ?
Elle
s’est penchée.
‒ Non,
mais attends ! Elle est là, cette garce, en plus ! Et il y a aussi
l’autre, Nayah. Qu’est-ce que c’est que cette salade ? Et ils rentrent.
Ils rentrent à l’intérieur.
Maman
a appelé en bas de l’escalier.
‒ Vous
descendez, les filles !
Sur
un tel ton qu’il était clair qu’il valait mieux obtempérer. Et vite.
Ils
étaient là, tous les trois, debout près de la porte-fenêtre. Et il y avait
aussi papa, les bras croisés, à côté de la télé.
Maman
nous a prises sous son regard.
‒ Approchez !
Alors ? Je vous écoute…
Elle
nous écoutait ? Mais à propos de quoi ?
‒ Aggravez
bien votre cas ! Jouez bien les innocentes !
‒ Mais
non, mais…
Elle
a explosé.
‒ Ah,
vous savez pas ! Eh bien je vais vous rafraîchir la mémoire, moi !
L’avenue Victor Hugo, ça vous dit rien ? Et les sorties au petit
matin ? Combien de fois vous y êtes allées ? Hein ? Combien de
fois ? Et pour faire quoi ? Pour vous repaître du malheur des autres.
Voilà pourquoi. Pour vous moquer d’eux. Ah, vous pouvez être fières de
vous ! C’est honteux. Honteux.
On
a laissé passer l’orage, tête basse. Qu’est-ce qu’on pouvait dire ? Rien.
C’était vrai. C’était vrai qu’on était allés les voir défiler tout nus avec le
derrière zébré chaque fois qu’on avait pu. Et qu’on avait trouvé ça excitant.
‒ Bon,
mais à chacun son tour de s’amuser ! Une bonne fessée, devant eux, ça va
vous remettre les idées en place. Allez, vous vous déshabillez…
On
s’est regardées, toutes les deux, stupéfaites.
‒ Eh
bien ! Qu’est-ce que vous attendez ?
Iourievna
a protesté.
‒ Ah
non, hein, pas devant lui !
Pas
devant Mbe.
‒ Vous
faites ce que je vous dis ! Et vous vous dépêchez… Faites attention !
Faites bien attention…
C’est
moi qui m’y suis résolue la première. De toute façon, on y aurait droit,
alors !
J’ai
enlevé mon bas de pyjama. En leur tournant le dos.
Iourievna
a encore essayé de l’apitoyer.
‒ Maman,
s’il te plaît…
Mais
elle n’a rien voulu entendre.
‒ T’arrêtes
de discuter ! Et tu te déculottes…
Elle
a commencé à la baisser, sa culotte de pyjama, s’est arrêtée. A repris, un tout
petit peu plus, s’est encore arrêtée, a tourné la tête pour jeter un rapide
coup d’œil sur les trois autres et l’a précipitamment remontée.
‒ Bon,
maintenant ça suffit !
Et
c’est maman, agacée, qui la lui a descendue, d’un coup, jusque sur les
chevilles.
‒ Là !
Et maintenant vous vous tournez vers eux. Allez ! Très bien ! Et vous
enlevez le haut…
On
l’a fait. En soupirant.
‒ Bon,
ben voilà ! Voilà ! Il ne vous reste plus qu’à leur demander pardon.
‒ Je
suis désolée.
Du
bout des lèvres.
‒ Ah,
non, non ! Mieux que ça ! Plus fort. Et en les regardant.
J’ai
obéi. Iourievna aussi.
‒ Bien !
Et
elle a demandé à Mbe de lui donner sa ceinture. Qu’elle a fait claquer en
l’air.
‒ Pas
mal, oui ! Pas mal ! Ça devrait être efficace. Bon, mais ce sont ces
demoiselles qui vont officier… Laquelle veut commencer ?
Evenye
s’est aussitôt proposée.
‒ Très
bien. Tu choisis. Celle que tu veux.
Elle
n’a pas eu l’ombre d’une hésitation. Iourievna, évidemment. Iourievna qu’elle a
pointée d’un doigt décidé.
‒ Elle !
Maman
l’a fait agenouiller au pied du canapé, lui a appuyé sur la tête pour l’obliger
à se pencher en avant.
‒ Vingt
coups. Allez !
Et
Evenye a cinglé. Elle était à l’évidence ravie de l’aubaine. Pouvoir corriger
la rivale avec laquelle Mbe l’avait trompée ! Ah, ça, elle y a mis tout
son cœur. Elle prenait son élan de très haut et lâchait ses coups avec
infiniment de détermination. Les cinq premiers, elle les a bien éparpillés,
bien réguliers, sur toute la surface, du haut des fesses jusqu’au haut des
cuisses. Et puis les suivants, elle s’est employée à les faire tomber à
l’emplacement exact des précédents. Que ça rentre bien. Que ça s’incruste bien.
Et que ça lui fasse bien mal. Iourievna a poussé des cris déchirants, tout du
long. De plus en plus fort et déchirant au fur et à mesure que ça tombait. Tout
en crispant et décrispant les fesses en rythme. Et en bourrant le canapé de coups
de poing éperdus.
‒ Vingt !
Maman
avait compté. Elle l’a aidée à se relever, hoquetante et gémissante.
‒ Là !
Et maintenant tu vas au coin, mains sur la tête, réfléchir un peu à ce que tu
as fait.
Evenye
l’a regardée obtempérer, le sourire aux lèvres. Elle jubilait.
Maman
a ordonné.
‒ Allez,
Olga, à ton tour !
Je
suis allée docilement m’agenouiller, de moi-même, au pied du canapé. Je l’ai
vue, par-dessus mon épaule, tendre la ceinture à Nayah. Qui a pris tout son
temps. Laissé s’écouler une éternité avant de lancer une première cinglée. Pas
très fort. Pas trop fort. Les quatre ou cinq suivants non plus. Et puis, peu à
peu, ça s’est emballé. Elle y prenait goût, je le sentais bien. Elle a respiré
plus vite, tapé plus fort, beaucoup plus fort. Et murmuré entre ses dents.
‒ Crie !
Je veux que tu cries.
J’ai
réussi à m’en empêcher. Je n’allais pas lui faire ce plaisir. J’ai tenu.
Jusqu’à vingt. Soupiré. C’était fini. Je m’en sortais pas si mal finalement.
Mais pour Maman le compte n’y était pas.
‒ Ils
ne valent pas, les premiers. Ils étaient bien trop mous. Rajoutes-en dix.
Nayah
ne s’est pas fait prier. Et cette fois, j’ai crié. Comme une perdue.
‒ Allez,
toi aussi, au coin !
Du
côté opposé à celui où se trouvait Iourievna. Je m’y suis rendue comme une
automate. Ça me brûlait que c’en était une horreur.
Derrière
maman les a fait asseoir.
‒ Vous
avez bien cinq minutes.
Ils
avaient, oui.
‒ Un
petit café, alors !
‒ Volontiers.
‒ Que
les filles vont nous servir.
Et
elle nous a envoyées le préparer.
Dans
la cuisine, Iourievna n’a pas pu retenir ses larmes.
‒ La
salope ! Non, mais quelle salope! T’as vu ça ? Et son air ! Son
air surtout ! Oh, mais elle va me le payer ! Je peux te dire qu’elle
va me le payer ! Parce que j’en ai plus rien à foutre de Mbe, strictement
rien. Mais elle l’aura pas non plus. Il restera pas avec. Je ferai ce qu’il
faut pour, alors là !
Maman
a appelé.
‒ Ben
alors ! Ça vient ? Qu’est-ce que vous fabriquez ?
Iourievna
a disposé les tasses. Distribué les petites cuillers. Evenye l’a regardée
faire, un petit sourire ironique juché au coin des lèvres. C’est moi qui ai
servi le café. Mbe ne m’a pas quittée des yeux tout du long. Ah, il en a
profité ! Pour en profiter, il en a profité…
‒ Merci,
les filles !
Et maman nous a renvoyées au coin.
Bonjour François,
RépondreSupprimerSympa cette histoire dans l'histoire. Je vois que vous commencez à rajouter des intrigues dans les intrigues, c'est très bien ! Ca donne de la consistance au texte d'origine. J'aime bien le passage de fessée des 2 soeurs par les employées de la laverie. C'est inédit et ça me plait bien. Bravo ! ! !
Les "reluqueuses" vont les regarder d'un autre oeil, à présent. Elles devaient bien être remises à leur place.
Amitiés.
Elena.
Bonjour Elena. Et bonjour à tous.
SupprimerS'il ne s'agissait que de paraphraser votre texte, on tournerait vite en rond. Et ça n'aurait pas, je crois, beaucoup d'intérêt. Ce qui est exaltant, c'est de faire prendre à vos personnages, tels que vous les avez constitués, des chemins de traverse. C'est de rebondir sur une situation que vous avez générée sans trop savoir sur quoi finalement tout cela va déboucher.
Amicalement.
François