« On va avoir
une coach en EPS.
‒ Hein ?
Qu’est-ce que c’est que cette histoire ? On en a déjà un de prof, Philippe
M.
‒ Oui, mais à
ce qu’il paraît qu’il est prévu une compétition entre les établissements
scolaires et que la directrice tient absolument à ce que Sainte-Croix fasse
honneur à sa réputation. Et figure en bonne place, de préférence la première.
Alors elle a recruté quelqu’un en plus.
‒ Et c’est
qui, cette coach ? Elle sort d’où ?
‒ Elle
s’appelle Jessica T. Elle a trente-trois ans. Et elle s’occupera de nous
entraîner en gym et en athlétisme, vu que ce sont les deux disciplines qui
compteront pour leur espèce de concours des établissements, là.
Ça nous a mis le
moral en berne. Parce que l’EPS, franchement, c’était pas notre tasse de thé.
C’était la tasse de thé de personne à Sainte-Croix d’ailleurs. De presque
personne.
Iourievna a
soupiré.
‒ S’il faut se
coltiner de bosser sérieusement la gym ! En plus du reste !
Augustin, lui, a
levé les yeux au ciel.
‒ Et vous
allez voir que, pour couronner le tout, ils vont nous avoir dégoté une peau de
vache de chez peau de vache. »
On avait tort
d’appréhender. Parce qu’elle était sympa comme tout en fait. Une grande blonde.
Pas mal foutue. Féminine en diable. Qui habitait le même immeuble que Léa.
« Oui. Je la
vois promener son chien des fois, le soir. Elle a pas l’air désagréable du
tout.
Ce qu’elle a
presque aussitôt voulu, cette coach, c’est se la jouer dans le registre :
« Vous êtes adultes et responsables. Alors je vais pas vous assommer de
grands discours. Ni vous menacer de quoi que ce soit. Vous avez un examen en fin
d’année. Et, d’ici quelque temps, une compétition où seront en jeu la
réputation et l’honneur de votre école. Alors vous savez ce qu’il vous reste à
faire. »
On savait, oui.
Mais savoir, c’était une chose et se sortir les doigts du cul pour obtenir des
résultats, c’en était une autre.
Elle, elle suivait
son idée fixe. Avec chronomètre, petits schémas au tableau blanc et
interminables exposés techniques.
‒ Vous avez
compris ?
À peu près, oui.
‒ Eh bien
action alors !
Mais on se traînait
lamentablement sur la piste. On faisait des temps calamiteux. On sautait
péniblement quatre-vingts centimètres en hauteur.
Elle insistait.
Elle nous encourageait.
‒ Allez !
Allez ! Vous y arriverez.
Elle était
tellement dans son truc qu’elle ne se rendait absolument pas compte qu’on en
avait strictement rien à battre de l’athlétisme et de la gym. De moins en moins
d’ailleurs. Parce que plus elle semblait accorder, elle, de l’importance à tout
ça et moins nous, par réaction, on s’investissait. Tout en faisant semblant de
prendre les choses aussi à cœur que possible.
‒ On fait ce
qu’on peut, M’dame ! Mais on n’est pas doués.
‒ Mais
si ! Tout le monde est doué. Plus ou moins, mais tout le monde l’est.
Après, c’est une question d’entraînement…
Et elle a obtenu de
la directrice des heures d’entraînement supplémentaires.
‒ Manquait
plus que ça ! »
Nos performances ne
se sont pas améliorées pour autant. Au contraire. Dépités de devoir consacrer
au sport un peu plus de temps encore, on tirait au flanc tant qu’on pouvait.
Discrètement, mais allègrement.
Elle, elle
continuait à nous prodiguer imperturbablement ses encouragements, mais on
sentait bien qu’elle commençait à désespérer. À deux ou trois reprises, il y en
a même qui l’ont surprise les larmes aux yeux.
Théo, lui, la gym,
les compétitions, la coach, tout ça, c’était pas sa priorité. Non. Depuis que
je lui avais parlé des fouettées que l’higoumène imposait à ses pénitentes, il
remettait en permanence le sujet sur le tapis. C’est sur cette femme d’âge mûr
qui avait été punie pour avoir couché avec son gendre qu’il m’interrogeait
surtout. « Puisque tu y étais ! » Il m’assaillait de questions.
Il voulait tout savoir. Comment elle était physiquement, cette femme. La façon
dont s’était déroulée la punition. Ce qu’elles lui disaient, les religieuses,
pour l’humilier. Il lui fallait toujours plus de détails. Encore et encore.
Tant et si bien que j’ai fini par m’interroger. Et par l’interroger.
« Eh, ben dis
donc, tu fais une sacrée fixation sur elle, on dirait… »
C’était pas ça,
non ! Enfin pas vraiment. C’était que… Et il a fini par me raconter
qu’avant, avant de venir s’installer ici avec ses parents, ils habitaient une
maison qui faisait face à un immeuble, de l’autre côté de la rue. Tout près.
Trop près. Ce qui les faisait râler, ses parents. « On n’est plus chez
soi ! » Et, parmi ces gens d’en face, il y avait une caissière de
grande surface, une femme d’une cinquantaine d’années, qui vivait seule et avec
laquelle il échangeait quelques mots, en bon voisin, quand il allait faire les
courses. Or, un soir, sur le coup de huit heures, il avait été attiré à la
fenêtre de sa chambre par des cris. Elle était sur son balcon, le cul à l’air,
tournée vers lui, et un inconnu était en train de lui flanquer une gigantesque
et retentissante fessée. Il hurlait. « Ah, tu le prends comme ça !
Ah, tu le prends comme ça ! » Il hurlait et il tapait. Elle aussi,
elle hurlait. En le suppliant d’arrêter. « S’il te plaît, Johann !
S’il te plaît ! » Ça avait duré, mais duré ! Quand il avait
enfin mis un terme, elle avait le postérieur d’un rouge flamboyant. Elle
s’était alors très vite réfugiée à l’intérieur, mais n’avait pas pu s’empêcher
de jeter au préalable un regard circulaire et inquiet autour d’elle. Et elle
avait vu qu’il avait vu. Il avait aimé. Beaucoup. Énormément.
« Ben
oui ! Parce qu’à cet âge-là, ça les vexe bien plus que quand elles sont
jeunes, une fessée ! Et alors si, en plus, il y a des garçons qui y
assistent ! »
Mais il y avait pas
que ça. Parce que, le lendemain, évidemment, il était allé faire des courses.
Et elle était là, à sa caisse. Ce regard qu’elle lui avait jeté ! Tout
pétri de honte.
« Elle jouait
les prolongations en quelque sorte, sa fessée. Et encore maintenant ! J’y
retourne exprès là-bas des fois. Même qu’on ait déménagé. Même que ça fasse des
mois. Pour la voir avoir honte. Et c’est toujours là, entre nous. Ce le sera
toujours. »
Comment ils
brillaient, ses yeux !
En attendant, le
jour J. approchait à grands pas. Sans que nos résultats se soient pour autant
vraiment améliorés. Il a fini par arriver.
Elle était
résignée, la coach.
« Faites ce
que vous pourrez…
Juste avant le
départ, en autocar, pour Aix-en-Provence, la directrice s’est fendue d’un
discours particulièrement soporifique tout au long duquel elle nous a répété au
moins vingt fois qu’elle comptait sur nous et qu’elle était persuadée qu’on
porterait bien haut la bannière de Sainte-Croix.
Oui, tu
parles ! On a enchaîné à qui mieux mieux les contre-performances. Tant en
athlétisme qu’en gym. Et on s’est retrouvés bons derniers, éliminés piteusement
de la compétition.
Il y en avait
qu’étaient un peu déçus.
‒ Quand même…
Si on avait fait un minimum d’efforts…
Mais la plupart
s’en fichaient.
‒ Oh, tu
parles ! C’est que du sport. »
Quant à Jessica T.,
elle ne nous a pas fait le moindre reproche. Elle s’est réfugiée dans le
silence.
Le lendemain, en
début d’après-midi, Léa m’a discrètement fait signe.
« Viens !
J’ai quelque chose à te raconter.
Et je l’ai rejointe
dans son petit bureau de déléguée des élèves, juste à côté de celui de la
directrice.
‒ Mais alors
tu le répéteras pas, hein ! Tu me promets ? Ça me ferait avoir des
ennuis.
‒ Même pas à
Théo ?
‒ Oh, lui, de
toute façon, je sais que tu lui diras. Alors…
Bon, mais c’était
quoi ? Qu’est-ce qu’il y avait eu ?
‒ C’est
Jessica T., la coach. Elle est venue au rapport, là, tout à l’heure, à côté.
Suite aux compétitions d’hier.
‒ Ah ! Et
alors ?
‒ Et alors,
c’est du papier mâché, les cloisons ici. On entend tout dès que ça se met à
parler un peu fort. Surtout…
Elle m’a fait un
petit clin d’œil.
‒ Surtout…
quand on y colle l’oreille. Et je peux te dire qu’elle s’est pris une de ces
dégazées, la Jessica ! Impressionnant. Qu’elle était absolument incapable
de motiver les élèves. C’était pourtant pas si compliqué que ça ! On
utilisait des méthodes, à Sainte-Croix, qui avaient fait leurs preuves. Des
fessées. À la main ou au martinet. Elle se croyait donc au-dessus de tout le
monde qu’elle refusait d’y avoir recours ?
‒ Et elle
répondait quoi, l’autre ?
‒ Rien. Elle
pipait pas mot. Elle laissait passer l’orage. Un bon moment qu’il a duré
d’ailleurs, l’orage. Avec éclairs et coups de tonnerre. Jusqu’au moment où la
directrice lui a balancé comme ça que la première personne qu’il aurait fallu
motiver, c’était elle. De la manière appropriée. Alors là, elle s’est mise à
protester. « Non, mais alors là, sûrement pas ! » Mais la
directrice a enfoncé le clou. Parfaitement qu’elle en méritait une. Et une
bonne ! Même qu’elle allait l’avoir. C’était prévu dans son contrat
n’importe comment ! Elle l’avait pas lu ? À moins qu’elle préfère le
dénoncer, le contrat ? Libre à elle. Mais elle savait ce que ça allait lui
coûter ! Cinq ans de salaire. À payer cash. Ça aussi, c’était stipulé dans
le contrat. Écrit noir sur blanc. Alors ? Elle décidait quoi ? Il
s’est murmuré quelque chose. Que je n’ai pas entendu. Il y a un bruit de
feuilles qu’on tournait, celui d’une badine qui sifflait en l’air et puis, à
nouveau, la voix de la directrice. « Déculottez-vous,
Jessica ! » « Oh, Madame la directrice ! »
« Exécution ! Si vous voulez pas aggraver votre cas. Là ! À la
bonne heure ! Vous voyez que vous pouvez quand vous voulez. Et maintenant
penchez-vous en avant sur le bureau. Allez ! Et écartez bien les
jambes. » Il y a eu un long moment de silence. Après quoi elle a passé un
coup de fil à Philippe M. « Venez me rejoindre dans mon bureau. Tout de
suite, oui. » Et elle lui a dit pourquoi. Alors tu penses bien que
l’autre, il a pas perdu de temps. Trente secondes après, il était là, tout
frétillant.
‒ Comment elle
devait être mal, la Jessica ! À poil devant son collègue. Surtout
lui !
‒ Ah,
ça ! J’aurais pas voulu être à sa place. Et encore moins quand elle a
commencé, la fouettée. Parce que ça tombait sacrément dru. Elle gémissait. Elle
piaulait. Elle suppliait « Oh, non ! Arrêtez ! Ça fait trop
mal. » Et elle devait gigoter que le diable et essayer d’échapper vu qu’à
un moment, la directrice a demandé à Philippe M. de passer de l’autre côté du
bureau pour lui tenir solidement les poignets.
‒ Il devait
plus rien voir du coup !
‒ Ah, ben non,
forcément ! Et ça a repris de plus belle. Elle hurlait tout ce qu’elle
savait. Ce qui n’a pas apitoyé le moins du monde la directrice. Ça la stimulait
au contraire. Elle tapait, ça s’entendait, de plus en plus fort. Elle a arrêté
d’un coup. « Là ! Et si vous ne changez pas de méthode, si les
résultats de vos élèves ne s’améliorent pas sensiblement, la prochaine fois
c’est au martinet que vous aurez droit. Compris ? » Elle avait compris,
oui. Je me suis douté qu’elle n’allait pas tarder à sortir. Et j’ai
discrètement entrebâillé ma porte pour la voir passer. Elle n’avait pas pris le
temps de se rhabiller. Elle a filé dans le couloir, vers les vestiaires, en
rasant les murs, ses vêtements serrés contre elle. Elle avait le cul dans un
état, mais dans un état ! J’ai ouvert la porte plus au large, pour mieux
voir. Mais juste au moment de disparaître, elle s’est retournée.
‒ Et elle
s’est rendu compte que t’étais là…
‒ Ah, ben oui,
ça ! »
Théo m’attendait en
bas.
« Elle te
voulait quoi ?
‒ Attends !
Viens ! Je vais te raconter.
Il m’a écoutée, les
yeux écarquillés.
‒ C’est pas
vrai ! Non, mais c’est pas vrai !
Eh, si, ça
l’était ! Si !
Il en revenait pas.
‒ Une fessée,
la coach ! Ah, ben ça alors !
‒ Et tu sais à
quoi j’ai pensé ? Elle habite le même immeuble qu’elle, Léa. Tous les
soirs, elle la voit aller promener son chien. Alors si on s’y pointait ?
On ferait un petit tour dehors, tous les trois. Histoire de la croiser. Et que
ce soit justement aujourd’hui, comme par hasard, elle va forcément se douter
que Léa nous a tout dit. Et qu’on est venus exprès.
Sa glotte a
tressauté. Ses yeux se sont voilés.
‒ Comment elle
va avoir honte !
Mais il s’est
aussitôt rembruni.
‒ Elle va
peut-être pas vouloir, Léa…
‒ Oui, alors
là, ça m’étonnerait !
Léa s’est assise
sur le radiateur.
‒ De là, je la
verrai forcément sortir.
A jeté un œil sur
son portable.
‒ Ce qui
devrait pas tarder. C’est toujours entre neuf heures et neuf heures et quart
qu’elle le sort, son clébard.
En attendant, ce
qu’elle se demandait, elle, c’était si Philippe M. s’était branlé après l’avoir
vue se faire fouetter dans le bureau de la directrice.
‒ Ou plutôt,
ce que je me demande, c’est combien de temps il a tenu. Il a dû se précipiter
dans les premières toilettes venues, oui ! Et décharger aussi sec…
Elle s’est levée.
‒ La
v’là !
On est descendus.
Et on l’a suivie. Pas trop près. Mais pas trop loin non plus.
Théo a murmuré.
‒ Quand je
pense qu’elle a le cul tout rouge là-dessous. C’est trop ! Non, mais
comment c’est trop.
Et Léa a fait
remarquer.
‒ Vous avez vu
comment elle marche ? Ah, là, elle pourrait pas nier qu’elle s’en est pris
une.
Le chien s’arrêtait
au pied de chaque arbre, au pied de chaque réverbère, reniflait, levait la
patte. Elle, elle attendait patiemment qu’il ait terminé. En jetant, de temps à
autre, des coups d’œil autour d’elle. Tant et si bien qu’elle a fini par nous
apercevoir, mais elle s’est aussitôt détournée, faisant mine de ne pas nous
avoir vus. On a tranquillement poursuivi notre route. On est parvenus à sa
hauteur. Elle nous tournait le dos.
‒ Bonsoir,
M’dame !
Elle a feint la
surprise.
‒ Ah,
bonsoir !
Et elle a concentré
toute son attention sur son chien. Dont elle a fait mine de croire qu’il tirait
sur sa laisse.
‒ T’as pas
fini, toi ? Ce que tu peux être pénible quand tu t’y mets !
On s’est éloignés.
En riant sous cape.
Théo m’a pris la
main. Me l’a serrée.
‒ C’était trop
bon…
Et Iourievna ? On la connait
Je crois, Elena nous l'a longuement présentée mais si vous êtes passés à côté, voici le premier épisode de la série : le chapitre 1
Il y a un début à cette série
Mais si vous voulez lire ce récit d'un autre point de vue : les rebelles chapitre 10 acte 1
Et la suite ?
François nous a préparé le chapitre 10, acte 2
N'hésitez pas pour les commentaires
Tout le monde les attend : que pensez-vous de cette série croisant l'imaginaire d'Elena et celui de François ?
Bonjour,
RépondreSupprimerJ'avais envoyé un commentaire qui s'est perdu (encore) dans le confinement! Bien, dommage ...pas encourageant.
Ramina