J’ai compris très vite que mon
travail ici ne serait pas facile. Chacun s’attachait à me faire comprendre que
je n'étais pas particulièrement le bienvenu. Dès ma première rencontre avec
l’équipe d’enseignants, cela me fut expliqué on ne peut plus clairement.
En fait d’équipe d’enseignants,
c’étaient, pour la plupart des enseignantes dont une grande majorité étaient
des religieuses toutes vêtues selon la tradition de leur ordre. Celles qui
n’avaient pas suivi cette voie étaient habillées à peine moins strictement.
J’appris, par la suite qu’il s’agissait de professeures laïques qui avaient été
choisies pour leur croyance en l’efficacité d’une éducation très stricte. Il
était difficile de donner un âge à toutes ces dames, mais elles semblaient au
mieux dans leur âge mur. Il y avait quelques professeurs, certains assez
jeunes, mais ils n’intervinrent pas dans le débat.
J’étais invité à venir présenter
mon projet de recherche lors de la réunion de pré-rentrée. J’avais à peine eut
le temps de présenter la méthodologie, qu’une main se leva pour demander la
parole.
« Que voulez-vous que nous
changions dans nos méthodes alors qu’elles ont fait leur preuve depuis si
longtemps ? »
Je me réfugiais derrière le
caractère scientifique de la démarche, arguant que je ne pouvais tirer les
conclusions avant d’avoir mené à bien tout le travail d’observation.
« Savez-vous, jeune homme,
poursuit une seconde, que nous sommes fait une spécialité et une réputation sur
notre capacité à remettre dans le droit chemin des élèves en échec scolaire.
Vous trouvez, dans les élèves qui ont fait un parcours chez nous, beaucoup de
jeunes gens qui avaient été expulsés de nombreux établissement avant de se
retrouver chez nous. Regardez leur parcours scolaire, vous serez étonné. Bien
entendu, beaucoup d’entre eux ne sont pas dans cette situation, ils viennent
pour trouver un établissement d’excellence.
" Effectivement, répondis-je,
c’est une donnée importante à prendre en compte. »
Mes réponses exaspéraient mes
interlocuteurs. Tout ce qu’elles pouvaient me dire était classé dans les
paramètres à examiner. Je croyais m’en être sorti quand la discussion toucha le
cœur du problème.
« Nous formons une
communauté assez fermée, me dit une religieuse qui était resté silencieuse
jusqu’à maintenant. »
Le silence se fit lorsqu’elle
prit la parole et je sentais bien que j’avais en face de moi une contradictrice
qui était respectée par ses collègues. Elle parlait d’une voix posée, comme
quelqu’un qui a l’habitude d’être écouté.
« Nos méthodes
pédagogiques, poursuivit-elle, sont légitimes au sein de notre institution,
parce que chacun y a sa place, professeurs comme élèves. Chacun y a son rôle.
Nous formons une petite société qui a ses règles et sa cohérence. Un
observateur qui n’y participe pas, non seulement restera en marge, mais sera
également une perturbation dont il est difficile de prévoir les effets. Cela a
toutes les chances de rendre caduques vos conclusions scientifiques. »
Je sentis l’ironie qu’elle
mettait dans ce dernier terme. Au-delà de cela, je ne comprenais pas bien de
quoi elle parlait.
« Sœur Marie Joseph,
continua-t-elle, ce jeune homme sait-il quelle type de punition nous utilisons
fréquemment ? »
– Cela demande
effectivement quelques clarifications. »
La directrice, après avoir laissé
s’exprimer les doutes de ses collègues, reprenait la direction des débats.
« Sachez, Monsieur
Fournier, que notre système repose sur un ensemble de récompenses et de
punitions. Nous sommes très exigeantes envers nos élèves quant à l’ensemble ce
qui touche à la vie de notre maison : résultat scolaire, mais également le
comportement et bien entendu l’hygiène et la propreté. A chaque fois qu’il est
nécessaire, les élèves, quels que soient leur sexe ou leur âge, sont punis. En
général, cela signifie recevoir une fessée qui est presqu’à chaque fois donnée
après avoir dénudé le postérieur du coupable. Je parle donc bien de fessées
déculottées et nous ne nous cachons pas pour ce faire. Cela se passe là où la
fessée est méritée, c’est-à-dire le plus souvent devant les camarades de
classes. Les plus grands, même quand ils sont majeurs n’y échappent pas. »
Je restais sans voix. Je
m’attendais à une institution rigoriste, mais pas à ce point. En une seconde,
je réalisais ce que cela signifiait. Les plus jeunes élèves avaient 10 ou 11
ans. Il était déjà difficile de les imaginer la culotte baissée pour recevoir
une fessée. Les plus âgés avaient presque 25 ans. Je ne les voyais pas accepter
un tel traitement, qui plus est en public. Quelle humiliation !
« En fait, continua la
directrice, notre réussite repose sur le fait que nous concentrons l’énergie
des enfants sur leurs études. Tous les autres besoins sont secondaires. Pour
cela, il faut leur faire oublier leur âge et les plaisirs qui vont avec. C’est
pour cela que nous les traitons comme des petits enfants, aussi bien pendant
les temps scolaire que dans les autres moments. Je crois que c’est cela qui
constitue notre réussite. »
Bien qu’ayant un certain recul
sur les questions d’éducations auxquelles je me consacrais depuis plus de dix
ans, je ne trouvais pas la faille dans le raisonnement.
« Notre institution est
basée sur un système cohérent très efficace. Il est donc difficile d’en changer
une partie sans porter atteinte au tout. C’est pour cela que nous sommes assez
réticentes à tout changement. Votre présence est donc une menace. Nous ferons
donc ce qu’il faut pour que vous ne puissiez pas mettre en danger tout ce
travail forgé par nos prédécesseurs et dont nous portons haut le
flambeau. »
Cette déclaration avait le mérite
de la clarté.
« Je n’ai pas l’intention
de compromettre votre travail, répondis-je déstabilisé par l’hostilité du
groupe qui se tenait en face de moi. Je m’engage à ne pas vous gêner dans votre
travail et je respecterai toutes les limites que vous souhaiterez m’imposer. Je
me conformerai à toutes les consignes que vous me donnerez pour me fondre dans
le fonctionnement normal de St Marie. »
Cette déclaration fit son effet.
Je sentis la tension retomber bien que certaines restèrent méfiantes. Je
compris alors qu’elles m’avaient amené là où elles le souhaitaient quand je
pris connaissance de ce qu’elles avaient préparé.
« Nous n’avons pas de
raison de mettre en doute votre bonne foi. Après tout, cette idée-là n’est pas
de vous. Comprenez, cependant, que nous vous accorderons votre confiance à
l’épreuve des faits. Par contre, nous ne mettrons pas d’obstacle à votre
travail. »
Je hochais la tête pour approuver
ce compromis.
« Pour commencer, je vais
vous demander de signer ce papier en gage de votre bonne foi. »
La directrice me présenta alors
un document dont je pris connaissance.
Je soussigné Axel Fournier, chercheur en
sciences de l’éducation, m’engage, durant tout le temps que je passerai à
l’institution St Marie ou que je travaillerai sur cette institution à ne jamais
interférer dans l’administration d’une punition quelle que soit la personne qui
en bénéficie et quelle que soit sa sévérité. Je ne ferai aucun acte, je
n’élèverai aucune protestation de nature à mettre en doute leur légitimité ou à
empêcher leur administration.
Je m’engage, par ailleurs, à garder la plus
stricte confidentialité sur les méthodes employées à St Marie. Je ne pourrai
les décrire dans mes publications ou dans celles auxquelles je participerai
qu’après autorisation explicite.
Enfin, je m’engage à suivre strictement les
recommandations du Conseil des professeurs et de la Directrice en ce qui
concerne la façon dont je me comporterai à St Marie.
Fait à St Marie le 31 août 2015.
Rien de tout cela n’heurtait
l’éthique de la recherche. Il était habituel, dans des commandes comme celle
qui nous avait été passée, que le contenu du rapport soit la propriété
exclusive du commanditaire. Je signais donc le document, au soulagement général
de mes interlocutrices.
La directrice exigea que je n’aie
aucun contact avec les élèves durant le premier mois.
« Il est nécessaire que
nous installions les règles de vie en dehors de toute présence étrangère. Si
tout va bien, vous serez autorisé à circuler dans notre institution à partir du
premier octobre. »
Comme j’émettais une
protestation, il me fut rappelé que je m’étais engagé à suivre les
recommandations que l’on me donnerait. Je dus reconnaître que cela entrait
pleinement dans le champ de la lettre que j’avais signée.
Je me résolus donc à commencer
mes observations en chambre. St Marie me facilita le travail en me donnant
toute la littérature dont j’avais besoin : histoire de St Marie, compte
rendus des Conseils d’administration et des Assemblées Générales, composition
de l’équipe enseignante, comptes de l’association, publications diverses, …
C’est en consultant ces documents
que je me rendis compte que le visage d’une des professeures de gymnastiques ne
m’était pas inconnu. Lors de la rencontre avec les professeurs, je n’avais pas
pu mettre un nom sur ce visage qui me disait quelque chose. Je fis quelques
recherches avant de reconstituer l’histoire. Celle qui se faisait appeler maintenant
Sœur Gabrielle, avait été une judokate de haut niveau. Elle avait fait partie
de l’équipe nationale et avait échoué de peu, à plusieurs reprises, à devenir
championne du monde. Lorsqu’elle s’était retirée dans un couvent, alors que sa
carrière sportive n’était pas finie, cela avait les titres des journaux à la
rubrique « sport ». Son parcours de religieuse l’avait menée à St
Marie où elle enseignait le sport. Finalement je trouvais cela assez logique.
Elle devait avoir une compétence certaine dans la matière qu’elle professait.
Je passais à ce qui me semblait
la première vraie étape de connaissance de St Marie, du moins de ce qui était
au cœur de la mission qui m’avait été confié : les résultats de cette
école étaient-ils aussi bons que le prétendaient les enseignants ? Plus
encore, était-il exact que des élèves, en échec scolaire retrouvaient un niveau
scolaire bien meilleur suite à leur passage dans l’institution ?
Je demandais alors à pouvoir
consulter les relevés de notes et les carnets scolaires des élèves de St Marie.
Alors que je m’attendais à des difficultés, des copies de tous ces documents me
furent livrés en quelques jours. Je commençais mon travail, un peu fastidieux,
de classement et d’analyse de toute cette matière.
Je trouvais assez vite la réponse
à ma première question. Le taux de réussite, que ce soit au brevet des collèges
ou au baccalauréat était bien au-dessus de la moyenne que ce soit au niveau
national ou académique. Il se situait presqu’à la même hauteur que ce
qu’obtenaient les grands lycées parisiens. J’étais étonné. Cela ne se savait
pas, même dans mon milieu censé être bien informé sur ces questions. Les
plaquettes de communication que faisait St Marie n’insistaient pas sur ce
point. Sans doute, ne pouvant pas communiquer sur les méthodes employées pour y
arriver, les responsables de l’institution préféraient laisser faire le bouche
à oreille. Dans cette perspective, ma présence et le travail que je devais
faire constituait une prise de risque certaine.
Il me fallait tout de même aller
plus loin et vérifier que cette réussite évidente permettait bien à des élèves
en échec scolaire de retrouver un niveau satisfaisant. Je fis une étude de
cohorte constituée d’élèves d’âges différents à leur entrée à St Marie mais qui
arrivaient tous avec des difficultés scolaires évidentes. Il fut vite évident
que pour presque chacun d’entre eux, le niveau s’était grandement amélioré et
qu’après moins d’un an de séjour à St Marie, il était difficile de les repérer
grâce à leur niveau scolaire. Ils étaient dans la moyenne de leur classe, ce
qui aurait représenté un bon niveau dans presque tout autre établissement.
Certains faisaient même partie des meilleurs élèves.
Je voulais m’assurer, en
consultant les compte rendus des conseils de discipline, qu’une politique de
renvoi des élèves n’était pas en place. Cela me fut impossible. Personne ne se
rappelait quand s’était tenue une telle instance à St Marie.
« Vous comprenez, me dit la
directrice, nous intervenons bien avant d’arriver à de telles extrémités. Nous
avons des moyens bien plus efficaces pour faire comprendre, à l’élève
récalcitrant, que son intérêt réside dans un travail assidu. »
Je sortis ébranlé de cette
première partie de mon travail. Je ne pouvais que constater les résultats
obtenus. L’honnêteté scientifique m’obligeait à les mentionner dans mon
rapport. Il me restait à comprendre comment les Sœurs en arrivaient là.
Pour cela, il fallait pourvoir
faire de l’observation en situation. Je dus patienter quelques jours encore
puis je reçus l’autorisation de me mêler à la communauté scolaire.
Le premier épisode : introduction
L'épisode suivant : chapitre 2
Cela s'annonce bien. Impatient quand même de lire la suite.
RépondreSupprimerBonjour Jean-Jacques,
SupprimerNous respecterons la règle du feuilleton : un chapitre par semaine. Pour la suite vous devrez donc attendre un peu. Cela fait partie du charme de l'exercice, non ?
Au plaisir de vous lire,
JLG.
même réponse : cela s'annonce bien. le décor est planté. les bourreau! pardon les enseignants sont la. il nous manque les élèves, mais je suis sur qu'ils vont arriver vite.
RépondreSupprimerAttendons la semaine prochaine...et le charme agit! j'en suis sur.
Bonjour Gege Bonn,
SupprimerLes élèves feront effectivement leur apparition "en chair et en os" la semaine prochaine. Il n'y a pas de raison qu'une école respectant les traditions, change de méthode aussi brusquement.
Au plaisir de vous lire,
JLG.