dimanche 13 août 2017

Axel, consultant à St Marie - chapitre 1

J’ai compris très vite que mon travail ici ne serait pas facile. Chacun s’attachait à me faire comprendre que je n'étais pas particulièrement le bienvenu. Dès ma première rencontre avec l’équipe d’enseignants, cela me fut expliqué on ne peut plus clairement.
En fait d’équipe d’enseignants, c’étaient, pour la plupart des enseignantes dont une grande majorité étaient des religieuses toutes vêtues selon la tradition de leur ordre. Celles qui n’avaient pas suivi cette voie étaient habillées à peine moins strictement.
J’appris, par la suite qu’il s’agissait de professeures laïques qui avaient été choisies pour leur croyance en l’efficacité d’une éducation très stricte. Il était difficile de donner un âge à toutes ces dames, mais elles semblaient au mieux dans leur âge mur. Il y avait quelques professeurs, certains assez jeunes, mais ils n’intervinrent pas dans le débat.
J’étais invité à venir présenter mon projet de recherche lors de la réunion de pré-rentrée. J’avais à peine eut le temps de présenter la méthodologie, qu’une main se leva pour demander la parole.
« Que voulez-vous que nous changions dans nos méthodes alors qu’elles ont fait leur preuve depuis si longtemps ? »
Je me réfugiais derrière le caractère scientifique de la démarche, arguant que je ne pouvais tirer les conclusions avant d’avoir mené à bien tout le travail d’observation.
« Savez-vous, jeune homme, poursuit une seconde, que nous sommes fait une spécialité et une réputation sur notre capacité à remettre dans le droit chemin des élèves en échec scolaire. Vous trouvez, dans les élèves qui ont fait un parcours chez nous, beaucoup de jeunes gens qui avaient été expulsés de nombreux établissement avant de se retrouver chez nous. Regardez leur parcours scolaire, vous serez étonné. Bien entendu, beaucoup d’entre eux ne sont pas dans cette situation, ils viennent pour trouver un établissement d’excellence.
" Effectivement, répondis-je, c’est une donnée importante à prendre en compte. »
Mes réponses exaspéraient mes interlocuteurs. Tout ce qu’elles pouvaient me dire était classé dans les paramètres à examiner. Je croyais m’en être sorti quand la discussion toucha le cœur du problème.
« Nous formons une communauté assez fermée, me dit une religieuse qui était resté silencieuse jusqu’à maintenant. »
Le silence se fit lorsqu’elle prit la parole et je sentais bien que j’avais en face de moi une contradictrice qui était respectée par ses collègues. Elle parlait d’une voix posée, comme quelqu’un qui a l’habitude d’être écouté.
« Nos méthodes pédagogiques, poursuivit-elle, sont légitimes au sein de notre institution, parce que chacun y a sa place, professeurs comme élèves. Chacun y a son rôle. Nous formons une petite société qui a ses règles et sa cohérence. Un observateur qui n’y participe pas, non seulement restera en marge, mais sera également une perturbation dont il est difficile de prévoir les effets. Cela a toutes les chances de rendre caduques vos conclusions scientifiques. »
Je sentis l’ironie qu’elle mettait dans ce dernier terme. Au-delà de cela, je ne comprenais pas bien de quoi elle parlait.
« Sœur Marie Joseph, continua-t-elle, ce jeune homme sait-il quelle type de punition nous utilisons fréquemment ? »
– Cela demande effectivement quelques clarifications. »
La directrice, après avoir laissé s’exprimer les doutes de ses collègues, reprenait la direction des débats.
« Sachez, Monsieur Fournier, que notre système repose sur un ensemble de récompenses et de punitions. Nous sommes très exigeantes envers nos élèves quant à l’ensemble ce qui touche à la vie de notre maison : résultat scolaire, mais également le comportement et bien entendu l’hygiène et la propreté. A chaque fois qu’il est nécessaire, les élèves, quels que soient leur sexe ou leur âge, sont punis. En général, cela signifie recevoir une fessée qui est presqu’à chaque fois donnée après avoir dénudé le postérieur du coupable. Je parle donc bien de fessées déculottées et nous ne nous cachons pas pour ce faire. Cela se passe là où la fessée est méritée, c’est-à-dire le plus souvent devant les camarades de classes. Les plus grands, même quand ils sont majeurs n’y échappent pas. »
Je restais sans voix. Je m’attendais à une institution rigoriste, mais pas à ce point. En une seconde, je réalisais ce que cela signifiait. Les plus jeunes élèves avaient 10 ou 11 ans. Il était déjà difficile de les imaginer la culotte baissée pour recevoir une fessée. Les plus âgés avaient presque 25 ans. Je ne les voyais pas accepter un tel traitement, qui plus est en public. Quelle humiliation !
« En fait, continua la directrice, notre réussite repose sur le fait que nous concentrons l’énergie des enfants sur leurs études. Tous les autres besoins sont secondaires. Pour cela, il faut leur faire oublier leur âge et les plaisirs qui vont avec. C’est pour cela que nous les traitons comme des petits enfants, aussi bien pendant les temps scolaire que dans les autres moments. Je crois que c’est cela qui constitue notre réussite. »
Bien qu’ayant un certain recul sur les questions d’éducations auxquelles je me consacrais depuis plus de dix ans, je ne trouvais pas la faille dans le raisonnement.
« Notre institution est basée sur un système cohérent très efficace. Il est donc difficile d’en changer une partie sans porter atteinte au tout. C’est pour cela que nous sommes assez réticentes à tout changement. Votre présence est donc une menace. Nous ferons donc ce qu’il faut pour que vous ne puissiez pas mettre en danger tout ce travail forgé par nos prédécesseurs et dont nous portons haut le flambeau. »
Cette déclaration avait le mérite de la clarté.
« Je n’ai pas l’intention de compromettre votre travail, répondis-je déstabilisé par l’hostilité du groupe qui se tenait en face de moi. Je m’engage à ne pas vous gêner dans votre travail et je respecterai toutes les limites que vous souhaiterez m’imposer. Je me conformerai à toutes les consignes que vous me donnerez pour me fondre dans le fonctionnement normal de St Marie. »
Cette déclaration fit son effet. Je sentis la tension retomber bien que certaines restèrent méfiantes. Je compris alors qu’elles m’avaient amené là où elles le souhaitaient quand je pris connaissance de ce qu’elles avaient préparé.
« Nous n’avons pas de raison de mettre en doute votre bonne foi. Après tout, cette idée-là n’est pas de vous. Comprenez, cependant, que nous vous accorderons votre confiance à l’épreuve des faits. Par contre, nous ne mettrons pas d’obstacle à votre travail. »
Je hochais la tête pour approuver ce compromis.
« Pour commencer, je vais vous demander de signer ce papier en gage de votre bonne foi. »
La directrice me présenta alors un document dont je pris connaissance.
Je soussigné Axel Fournier, chercheur en sciences de l’éducation, m’engage, durant tout le temps que je passerai à l’institution St Marie ou que je travaillerai sur cette institution à ne jamais interférer dans l’administration d’une punition quelle que soit la personne qui en bénéficie et quelle que soit sa sévérité. Je ne ferai aucun acte, je n’élèverai aucune protestation de nature à mettre en doute leur légitimité ou à empêcher leur administration.
Je m’engage, par ailleurs, à garder la plus stricte confidentialité sur les méthodes employées à St Marie. Je ne pourrai les décrire dans mes publications ou dans celles auxquelles je participerai qu’après autorisation explicite.
Enfin, je m’engage à suivre strictement les recommandations du Conseil des professeurs et de la Directrice en ce qui concerne la façon dont je me comporterai à St Marie.
Fait à St Marie le 31 août 2015.
Rien de tout cela n’heurtait l’éthique de la recherche. Il était habituel, dans des commandes comme celle qui nous avait été passée, que le contenu du rapport soit la propriété exclusive du commanditaire. Je signais donc le document, au soulagement général de mes interlocutrices.


La directrice exigea que je n’aie aucun contact avec les élèves durant le premier mois.
«  Il est nécessaire que nous installions les règles de vie en dehors de toute présence étrangère. Si tout va bien, vous serez autorisé à circuler dans notre institution à partir du premier octobre. »
Comme j’émettais une protestation, il me fut rappelé que je m’étais engagé à suivre les recommandations que l’on me donnerait. Je dus reconnaître que cela entrait pleinement dans le champ de la lettre que j’avais signée.
Je me résolus donc à commencer mes observations en chambre. St Marie me facilita le travail en me donnant toute la littérature dont j’avais besoin : histoire de St Marie, compte rendus des Conseils d’administration et des Assemblées Générales, composition de l’équipe enseignante, comptes de l’association, publications diverses, …
C’est en consultant ces documents que je me rendis compte que le visage d’une des professeures de gymnastiques ne m’était pas inconnu. Lors de la rencontre avec les professeurs, je n’avais pas pu mettre un nom sur ce visage qui me disait quelque chose. Je fis quelques recherches avant de reconstituer l’histoire. Celle qui se faisait appeler maintenant Sœur Gabrielle, avait été une judokate de haut niveau. Elle avait fait partie de l’équipe nationale et avait échoué de peu, à plusieurs reprises, à devenir championne du monde. Lorsqu’elle s’était retirée dans un couvent, alors que sa carrière sportive n’était pas finie, cela avait les titres des journaux à la rubrique « sport ». Son parcours de religieuse l’avait menée à St Marie où elle enseignait le sport. Finalement je trouvais cela assez logique. Elle devait avoir une compétence certaine dans la matière qu’elle professait.
Je passais à ce qui me semblait la première vraie étape de connaissance de St Marie, du moins de ce qui était au cœur de la mission qui m’avait été confié : les résultats de cette école étaient-ils aussi bons que le prétendaient les enseignants ? Plus encore, était-il exact que des élèves, en échec scolaire retrouvaient un niveau scolaire bien meilleur suite à leur passage dans l’institution ?
Je demandais alors à pouvoir consulter les relevés de notes et les carnets scolaires des élèves de St Marie. Alors que je m’attendais à des difficultés, des copies de tous ces documents me furent livrés en quelques jours. Je commençais mon travail, un peu fastidieux, de classement et d’analyse de toute cette matière.
Je trouvais assez vite la réponse à ma première question. Le taux de réussite, que ce soit au brevet des collèges ou au baccalauréat était bien au-dessus de la moyenne que ce soit au niveau national ou académique. Il se situait presqu’à la même hauteur que ce qu’obtenaient les grands lycées parisiens. J’étais étonné. Cela ne se savait pas, même dans mon milieu censé être bien informé sur ces questions. Les plaquettes de communication que faisait St Marie n’insistaient pas sur ce point. Sans doute, ne pouvant pas communiquer sur les méthodes employées pour y arriver, les responsables de l’institution préféraient laisser faire le bouche à oreille. Dans cette perspective, ma présence et le travail que je devais faire constituait une prise de risque certaine.
Il me fallait tout de même aller plus loin et vérifier que cette réussite évidente permettait bien à des élèves en échec scolaire de retrouver un niveau satisfaisant. Je fis une étude de cohorte constituée d’élèves d’âges différents à leur entrée à St Marie mais qui arrivaient tous avec des difficultés scolaires évidentes. Il fut vite évident que pour presque chacun d’entre eux, le niveau s’était grandement amélioré et qu’après moins d’un an de séjour à St Marie, il était difficile de les repérer grâce à leur niveau scolaire. Ils étaient dans la moyenne de leur classe, ce qui aurait représenté un bon niveau dans presque tout autre établissement. Certains faisaient même partie des meilleurs élèves.
Je voulais m’assurer, en consultant les compte rendus des conseils de discipline, qu’une politique de renvoi des élèves n’était pas en place. Cela me fut impossible. Personne ne se rappelait quand s’était tenue une telle instance à St Marie.
« Vous comprenez, me dit la directrice, nous intervenons bien avant d’arriver à de telles extrémités. Nous avons des moyens bien plus efficaces pour faire comprendre, à l’élève récalcitrant, que son intérêt réside dans un travail assidu. »
Je sortis ébranlé de cette première partie de mon travail. Je ne pouvais que constater les résultats obtenus. L’honnêteté scientifique m’obligeait à les mentionner dans mon rapport. Il me restait à comprendre comment les Sœurs en arrivaient là.

Pour cela, il fallait pourvoir faire de l’observation en situation. Je dus patienter quelques jours encore puis je reçus l’autorisation de me mêler à la communauté scolaire.

Le premier épisode : introduction
L'épisode suivant : chapitre 2

4 commentaires:

  1. Cela s'annonce bien. Impatient quand même de lire la suite.

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    1. Bonjour Jean-Jacques,
      Nous respecterons la règle du feuilleton : un chapitre par semaine. Pour la suite vous devrez donc attendre un peu. Cela fait partie du charme de l'exercice, non ?
      Au plaisir de vous lire,
      JLG.

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  2. même réponse : cela s'annonce bien. le décor est planté. les bourreau! pardon les enseignants sont la. il nous manque les élèves, mais je suis sur qu'ils vont arriver vite.
    Attendons la semaine prochaine...et le charme agit! j'en suis sur.

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    1. Bonjour Gege Bonn,
      Les élèves feront effectivement leur apparition "en chair et en os" la semaine prochaine. Il n'y a pas de raison qu'une école respectant les traditions, change de méthode aussi brusquement.
      Au plaisir de vous lire,
      JLG.

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