jeudi 6 août 2020

Le journal d'Olga - chapitre 25

On avait décidé de fêter la fin de l’année tous ensemble. Tous. Elena. Lyana. Moana. Lisendro. Lucia. Gloria. Et aussi mes deux sœurs, Ekaterina et Iourievna. Et puis, bien sûr, Théo. Mon petit Théo à moi.

On est d’abord allés se promener sur la plage. On s’est arrêtés au Barberousse, notre bar préféré, où on a bu des chocolats chauds. On était bien là, à discuter et à rigoler tous ensemble. Du coup, Lisendro a proposé qu’on prenne l’apéritif.

« Pour une fois qu’on est tous réunis…

On était d’accord, oui. L’apéritif. Mais alors juste un. Fallait pas que ça dégénère.

Ça a été juste un. Et puis un deuxième.

‒ C’est pas pour deux !

Un troisième. Et puis encore d’autres.

‒ N’importe comment quand on aime on ne compte pas.

Et Moana a éclaté de rire.

On commençait à être plus ou moins pompettes. À parler fort. À raconter tout un tas de bêtises. À embêter les gens autour. Et le patron nous a dit de nous calmer, que sinon il allait être obligé de nous foutre à la porte.

‒ Mais oui ! C’est ça ! C’est ça ! Allez, à boire, tavernier !

Il nous a encore rappelés à l’ordre. Plusieurs fois. Et puis il a fini par mettre sa menace à exécution.

‒ Vous avez assez bu…

Quand on a été dehors, Lyana a dit qu’il savait pas de quoi il parlait, cet imbécile, et qu’on allait en trouver des bouteilles.

‒ Autant qu’on en voudra. Et même que ça nous coûtera nettement moins cher…

On en a fait une bonne provision et… À la tienne ! À la mienne ! En déambulant dans les rues et en chahutant tout ce qu’on savait. Si bien qu’il y a des gens qui se sont mis à râler.

‒ Ta gueule, vieux con !

Et je sais plus qui, mais il y a quelqu’un qu’a proposé qu’on aille chercher des pétards et des feux de Bengale. Qu’on s’est mis à jeter un peu partout dans les rues et dans les jardins, surtout ceux des maisons des riches. Il y avait de plus en plus de gens qui nous criaient après, mais on s’en fichait. On était complètement désinhibés. On les insultait et on leur faisait des doigts d’honneur.

Après, au lotissement, c’est aux poubelles qu’on s’en est pris. On a jeté des tas de pétards dedans, ce qui les renversait ou les faisait sauter. Et nous, ça nous faisait exploser de rire. Jusqu’au moment où ça a pris feu. Qu’elles se le sont communiqué les unes aux autres le feu, les poubelles. Que ça a fait un grand brasier et qu’il y a tout un tas de gens qui se sont mis aux fenêtres ou qui sont sortis. Ça commençait à craindre, là. À craindre vraiment. Et on s’est vite rapatriés, chacun chez soi.

 

Le lendemain, c’est maman qui nous a réveillées. Sur le coup de midi.

« Bon, vous vous levez, les filles ? Il serait temps, non ?

Elle a ouvert les rideaux en grand.

‒ Vous étiez où, cette nuit ?

Elle nous a réveillées d’un coup, sa question.

‒ Moi, avec Mbe.

‒ Et moi, avec Théo. Pourquoi ?

‒ Parce qu’il y a tout un groupe qui a semé une pagaille monumentale en ville. Il y en a deux qui sont au poste ce matin.

‒ Ah, oui ! Qui, ça ?

Sur un ton aussi détaché que possible.

Elle savait pas.

‒ Mais deux filles, à ce qu’il paraît. »

 

Théo, qui est passé dans l’après-midi, savait, lui.

« Lyana et Moana. Il y a des gens qu’ont dit qu’ils les avaient reconnues.

‒ Elles vont tout déballer si ça se trouve. Et on va remonter jusqu’à nous.

Il croyait pas, non.

‒ Elles ont soutenu mordicus qu’elles y étaient pour rien. Qu’on avait cru les voir, mais que c’était pas elles. Et ils les ont libérées. Faute de preuves. Non, détendez-vous, les filles ! Détendez-vous ! Ça va bien se passer…

Tout en parlant, il arrêtait pas de jeter des tas de coups d’œil en douce sur le dessin que Mylène avait fait d’Iourievna toute nue et qu’elle, elle avait accroché au mur. De plus en plus de coups d’œil.

‒ Non, mais ça va ! T’es tranquille ?

Il y a eu, dans ses yeux, cet éclair canaille que j’aime tant.

‒ Elle pourrait pas m’en faire un de toi, Mylène ?

‒ Et puis quoi, encore ?

Il a fait sa moue de petit garçon boudeur.

‒ Oh, si, va ! S’il te plaît !

‒ Même pas en rêve ! »

Mais ça me faisait trop plaisir qu’il en ait envie.

 

Maman a reposé sa fourchette à côté de son assiette.

« Ah, oui, tiens, à propos, j’ai vu Magali A., cet après-midi…

Magali A., la mère de Lyana et de Moana.

On est restées impassibles.

‒ Ah, oui ? Qu’est-ce qu’elle voulait ?

‒ Elle va réunir un conseil des mères. Et elle veut que j’en fasse partie.

‒ Un conseil des mères ! Mais pour quoi faire ?

‒ Pour juger ses deux petites morveuses. Parce qu’elle les a tirées des griffes des gendarmes, bon, ça, c’est une chose, mais il n’empêche qu’elle est persuadée qu’elles sont coupables. Et moi aussi. Parce que je les ai vues. Deux petites pestes insolentes qui ont décidé de se murer dans un silence arrogant. Oh, mais on va le leur faire dire. On leur fera dire. Et elles seront punies en conséquence. C’est trop grave : il y a des choses qu’on ne peut pas laisser passer.

Elle a replié sa serviette.

‒ Non, vous avez très bien fait de vous tenir à l’écart de tout ça, vous deux !

Elle s’est levée.

‒ Mais il y a d’autres situations dans lesquelles vous auriez été bien inspirées de faire la même chose.

J’ai froncé les sourcils.

‒ Comment ça ?

Elle n’a pas répondu.

‒ Débarrassez la table, les filles !

Et elle est partie.

On s’est regardées interloquées, Iourievna et moi.

‒ Qu’est-ce qu’elle a voulu dire ?

‒ Alors ça ! »

 

Elena avait des nouvelles.

« Ah, oui ! Quoi ?

‒ Elles vont passer en conseil des mères.

Oui, ben ça, on savait.

‒ Et Magali A. a demandé à Sœur Marie-Zénaïde de venir.

‒ Qui c’est, celle-là ?

‒ Vous savez pas, c’est vrai ? Oh, ben Sœur Marie-Zénaïde, c’est la religieuse qui est chargée, dans les prisons, de punir les délinquantes qui font les fortes têtes. Avec un fouet de discipline qu’elle emporte partout avec elle. Et je peux vous dire qu’une fois qu’elles lui sont passées entre les mains, les prisonnières, elles filent droit. Douces et dociles comme des agneaux. Elles rampent à ses pieds.  Alors si jamais les mères estiment que Lyana et Moana sont coupables, ce qu’elles vont probablement faire…

‒ Tu crois ?

‒ Apparemment, elles en sont déjà pratiquement toutes convaincues.

Iourievna a abondé dans son sens.

‒ Oui. La nôtre l’est en tout cas…

‒ Eh ben, je voudrais pas être à leur place. Elles vont passer un sacré sale quart d’heure.

‒ Elles vont pas nous dénoncer au moins ?

‒ Alors ça ! Si elle a décidé de leur faire dire qui il y avait avec elles, elles le diront. Elles pourront pas faire autrement.

J’ai soupiré.

‒ Bon, les filles ! On parle d’autre chose. Ça vaudra mieux. »

 

Le lendemain, ce qui nous a réveillées, c’est qu’il y avait des voix en bas dans la cour. Plusieurs.

Iourievna a sauté du lit. S’est précipitée à la fenêtre.

« Je vois rien. Ah, si !

Elle a poussé un cri.

‒ Mais qu’est-ce qu’il fout là, lui ?

‒ Qui ça ?

‒ Ben Mbe… Je lui avais pourtant interdit. Tant qu’il aura pas choisi entre Evenye et moi, je veux pas le voir. C’est pourtant clair, non ?

Elle s’est penchée.

‒ Non, mais attends ! Elle est là, cette garce, en plus ! Et il y a aussi l’autre, Nayah. Qu’est-ce que c’est que cette salade ? Et ils rentrent. Ils rentrent à l’intérieur.

Maman a appelé en bas de l’escalier.

‒ Vous descendez, les filles !

Sur un tel ton qu’il était clair qu’il valait mieux obtempérer. Et vite.

Ils étaient là, tous les trois, debout près de la porte-fenêtre. Et il y avait aussi papa, les bras croisés, à côté de la télé.

Maman nous a prises sous son regard.

‒ Approchez ! Alors ? Je vous écoute…

Elle nous écoutait ? Mais à propos de quoi ?

‒ Aggravez bien votre cas ! Jouez bien les innocentes !

‒ Mais non, mais…

Elle a explosé.

‒ Ah, vous savez pas ! Eh bien je vais vous rafraîchir la mémoire, moi ! L’avenue Victor Hugo, ça vous dit rien ? Et les sorties au petit matin ? Combien de fois vous y êtes allées ? Hein ? Combien de fois ? Et pour faire quoi ? Pour vous repaître du malheur des autres. Voilà pourquoi. Pour vous moquer d’eux. Ah, vous pouvez être fières de vous ! C’est honteux. Honteux.

On a laissé passer l’orage, tête basse. Qu’est-ce qu’on pouvait dire ? Rien. C’était vrai. C’était vrai qu’on était allés les voir défiler tout nus avec le derrière zébré chaque fois qu’on avait pu. Et qu’on avait trouvé ça excitant.

‒ Bon, mais à chacun son tour de s’amuser ! Une bonne fessée, devant eux, ça va vous remettre les idées en place. Allez, vous vous déshabillez…

On s’est regardées, toutes les deux, stupéfaites.

‒ Eh bien ! Qu’est-ce que vous attendez ?

Iourievna a protesté.

‒ Ah non, hein, pas devant lui !

Pas devant Mbe.

‒ Vous faites ce que je vous dis ! Et vous vous dépêchez… Faites attention ! Faites bien attention…

C’est moi qui m’y suis résolue la première. De toute façon, on y aurait droit, alors !

J’ai enlevé mon bas de pyjama. En leur tournant le dos.

Iourievna a encore essayé de l’apitoyer.

‒ Maman, s’il te plaît…

Mais elle n’a rien voulu entendre.

‒ T’arrêtes de discuter ! Et tu te déculottes…

Elle a commencé à la baisser, sa culotte de pyjama, s’est arrêtée. A repris, un tout petit peu plus, s’est encore arrêtée, a tourné la tête pour jeter un rapide coup d’œil sur les trois autres et l’a précipitamment remontée.

‒ Bon, maintenant ça suffit !

Et c’est maman, agacée, qui la lui a descendue, d’un coup, jusque sur les chevilles.

‒ Là ! Et maintenant vous vous tournez vers eux. Allez ! Très bien ! Et vous enlevez le haut…

On l’a fait. En soupirant.

‒ Bon, ben voilà ! Voilà ! Il ne vous reste plus qu’à leur demander pardon.

‒ Je suis désolée.

Du bout des lèvres.

‒ Ah, non, non ! Mieux que ça ! Plus fort. Et en les regardant.

J’ai obéi. Iourievna aussi.

‒ Bien !

Et elle a demandé à Mbe de lui donner sa ceinture. Qu’elle a fait claquer en l’air.

‒ Pas mal, oui ! Pas mal ! Ça devrait être efficace. Bon, mais ce sont ces demoiselles qui vont officier… Laquelle veut commencer ?

Evenye s’est aussitôt proposée.

‒ Très bien. Tu choisis. Celle que tu veux.

Elle n’a pas eu l’ombre d’une hésitation. Iourievna, évidemment. Iourievna qu’elle a pointée d’un doigt décidé.

‒ Elle !

Maman l’a fait agenouiller au pied du canapé, lui a appuyé sur la tête pour l’obliger à se pencher en avant.

‒ Vingt coups. Allez !

Et Evenye a cinglé. Elle était à l’évidence ravie de l’aubaine. Pouvoir corriger la rivale avec laquelle Mbe l’avait trompée ! Ah, ça, elle y a mis tout son cœur. Elle prenait son élan de très haut et lâchait ses coups avec infiniment de détermination. Les cinq premiers, elle les a bien éparpillés, bien réguliers, sur toute la surface, du haut des fesses jusqu’au haut des cuisses. Et puis les suivants, elle s’est employée à les faire tomber à l’emplacement exact des précédents. Que ça rentre bien. Que ça s’incruste bien. Et que ça lui fasse bien mal. Iourievna a poussé des cris déchirants, tout du long. De plus en plus fort et déchirant au fur et à mesure que ça tombait. Tout en crispant et décrispant les fesses en rythme. Et en bourrant le canapé de coups de poing éperdus.

‒ Vingt !

Maman avait compté. Elle l’a aidée à se relever, hoquetante et gémissante.

‒ Là ! Et maintenant tu vas au coin, mains sur la tête, réfléchir un peu à ce que tu as fait.

Evenye l’a regardée obtempérer, le sourire aux lèvres. Elle jubilait.

Maman a ordonné.

‒ Allez, Olga, à ton tour !

Je suis allée docilement m’agenouiller, de moi-même, au pied du canapé. Je l’ai vue, par-dessus mon épaule, tendre la ceinture à Nayah. Qui a pris tout son temps. Laissé s’écouler une éternité avant de lancer une première cinglée. Pas très fort. Pas trop fort. Les quatre ou cinq suivants non plus. Et puis, peu à peu, ça s’est emballé. Elle y prenait goût, je le sentais bien. Elle a respiré plus vite, tapé plus fort, beaucoup plus fort. Et murmuré entre ses dents.

‒ Crie ! Je veux que tu cries.

J’ai réussi à m’en empêcher. Je n’allais pas lui faire ce plaisir. J’ai tenu. Jusqu’à vingt. Soupiré. C’était fini. Je m’en sortais pas si mal finalement. Mais pour Maman le compte n’y était pas.

‒ Ils ne valent pas, les premiers. Ils étaient bien trop mous. Rajoutes-en dix.

Nayah ne s’est pas fait prier. Et cette fois, j’ai crié. Comme une perdue.

‒ Allez, toi aussi, au coin !

Du côté opposé à celui où se trouvait Iourievna. Je m’y suis rendue comme une automate. Ça me brûlait que c’en était une horreur.

Derrière maman les a fait asseoir.

‒ Vous avez bien cinq minutes.

Ils avaient, oui.

‒ Un petit café, alors !

‒ Volontiers.

‒ Que les filles vont nous servir.

Et elle nous a envoyées le préparer.

Dans la cuisine, Iourievna n’a pas pu retenir ses larmes.

‒ La salope ! Non, mais quelle salope! T’as vu ça ? Et son air ! Son air surtout ! Oh, mais elle va me le payer ! Je peux te dire qu’elle va me le payer ! Parce que j’en ai plus rien à foutre de Mbe, strictement rien. Mais elle l’aura pas non plus. Il restera pas avec. Je ferai ce qu’il faut pour, alors là !

Maman a appelé.

‒ Ben alors ! Ça vient ? Qu’est-ce que vous fabriquez ?

Iourievna a disposé les tasses. Distribué les petites cuillers. Evenye l’a regardée faire, un petit sourire ironique juché au coin des lèvres. C’est moi qui ai servi le café. Mbe ne m’a pas quittée des yeux tout du long. Ah, il en a profité ! Pour en profiter, il en a profité…

‒ Merci, les filles !

Et maman nous a renvoyées au coin.



Et Iourievna ? On la connait

Je veux ! Elena nous l'a longuement présentée mais si vous êtes passés à côté,  voici le premier épisode de la série : le chapitre 1

Il y a un début à cette série

Le chapitre 1
et l'épisode précédent : chapitre 24
Mais si vous voulez lire ce récit d'un autre point de vue : les rebelles chapitre 25

Et la suite ?

François nous a écrit le chapitre 25 scène 2

N'hésitez pas pour les commentaires

Tout le monde les attend : que pensez-vous de cette série croisant l'imaginaire d'Elena et celui de François ?

2 commentaires:

  1. Bonjour François,
    Sympa cette histoire dans l'histoire. Je vois que vous commencez à rajouter des intrigues dans les intrigues, c'est très bien ! Ca donne de la consistance au texte d'origine. J'aime bien le passage de fessée des 2 soeurs par les employées de la laverie. C'est inédit et ça me plait bien. Bravo ! ! !
    Les "reluqueuses" vont les regarder d'un autre oeil, à présent. Elles devaient bien être remises à leur place.
    Amitiés.
    Elena.

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    Réponses
    1. Bonjour Elena. Et bonjour à tous.
      S'il ne s'agissait que de paraphraser votre texte, on tournerait vite en rond. Et ça n'aurait pas, je crois, beaucoup d'intérêt. Ce qui est exaltant, c'est de faire prendre à vos personnages, tels que vous les avez constitués, des chemins de traverse. C'est de rebondir sur une situation que vous avez générée sans trop savoir sur quoi finalement tout cela va déboucher.
      Amicalement.
      François

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