jeudi 27 février 2020

Le journal d'Olga - chapitre 9

C’est souvent que Théo me demande de lui parler de la Russie.
« Qu’est-ce tu veux savoir ?
‒ C’est ton pays. Alors tout !
Et je lui raconte. Mes vacances en famille là-bas. Les longues soirées au coin du feu. Les banyas. Les paysages. Les danses. Les costumes. Les coutumes. Il m’écoute. Il ne se lasse pas de m’écouter. Des heures durant.
Et il sourit.
‒ Qu’est-ce que t’as l’âme slave !
Je lève un sourcil.
‒ Et ça veut dire quoi, pour toi, avoir l’âme slave ?
Il réfléchit.
‒ Plein de choses ! L’amour des grands espaces à perte de vue. Se trouver spontanément en phase avec la musique, surtout classique. Et puis avoir impérieusement besoin d’une dimension religieuse, mais une vraie. Pas une religion de convenance. De confort. Quelque chose qui soit tissé à soi en profondeur.
‒ C’est pas seulement ça, mais c’est aussi ça. C’est aussi beaucoup ça, oui, c’est vrai. »

J’hésite un peu. L’expérience m’a appris que parler de ma religion, la religion orthodoxe, avec ceux qui ne la partagent pas de l’intérieur est toujours extrêmement risqué. On se heurte au mieux à l’incompréhension, au pire à la raillerie. Alors il est préférable, en général, d’éviter le sujet.
Mais Théo, ce n’est pas pareil. Il a soif de savoir. Il a soif de comprendre. Sincèrement. Alors je lui explique. Les cérémonies. Les chants. Ce bonheur qu’il y a à prier tous ensemble. À se sentir étroitement reliés les uns aux autres. En communion.
Il m’écoute. Il boit mes paroles.
« Et puis il y a la confession. C’est important, ça, la confession. Quand tu dois avouer à l’higoumène tout ce que t’as fait de mal depuis la fois précédente. Absolument tout. Sans rien omettre. Comment tu te sens soulagée après, quand t’as fait la punition qu’il t’a donnée. Purifiée. Réconciliée avec toi-même.
Il a voulu savoir.
‒ Et c’est quoi, ces punitions ?
‒ Ça dépend de la gravité de la faute. Le plus souvent, c’est des prières à réciter. Pendant plusieurs jours d’affilée. En faisant bien attention à ce que tu dis. Sinon, si tu te mets à penser à autre chose en même temps, faut que tu recommences. Autant de fois que nécessaire.
‒ Tu peux tricher. Il le saura pas.
‒ Oui, mais moi, je le saurais. Je le supporterais pas. Je me sentirais bien trop mal. Des fois aussi, c’est des jours de jeûne qu’il te donne. Pour que tu réfléchisses bien à ce que t’as fait et que t’aies pas envie de recommencer. Et si c’est vraiment très grave, alors là, c’est carrément le fouet que tu peux avoir. Par deux religieuses. Mère Hypandia et sœur Anna.
‒ Tu l’as déjà eu ?
‒ Moi, non. Mais ma sœur Ekaterina, oui. Il y a trois semaines.
‒ Et tu dis vraiment tout quand tu te confesses ? Tout, tout, tout ?
‒ Bien sûr ! Quel intérêt sinon ?
‒ Tu lui as parlé de nous alors ?
‒ Évidemment que je lui ai parlé de nous ! Évidemment ! Et il n’y a rien trouvé à redire. Parce qu’on est sincères. L’un comme l’autre. Là où il y a péché, pour lui, c’est quand il y a tromperie. Quand on se ment. Comme le type, là, l’autre jour, qui a reçu le martinet juste avant Ekaterina. Deux nanas en même temps il avait. Et aux deux il racontait des salades. Qu’il était amoureux et tout le tintouin. Celui-là, par contre, l’higoumène l’a pas loupé. Il y a attrapé sérieux. La trempe qu’il s’est ramassée, j’aurais vraiment pas aimé la prendre. Ça faisait bizarre d’ailleurs ! Comme c’était de l’autre côté de l’église que ça se passait, on entendait, mais on voyait pas. Et c’est presque plus excitant dans un sens. À condition que ça soit pas à toi d’y passer juste après. Parce qu’Ekaterina, elle, la pauvre, ça la terrorisait littéralement, les cris déchirants qu’il poussait, le bruit des lanières qui s’abattaient sur sa peau et la voix des deux religieuses qui s’encourageaient l’une l’autre à cingler, qui commentaient et qui l’accablaient de reproches : « Non, mais voyez-moi ce grand dégoûtant ! Il sperme ! Non, mais il sperme ! Tu n’as pas honte ? » Et les coups de redoubler d’intensité.
Ekaterina, en larmes, tremblait de tous ses membres. L’higoumène lui avait ordonné de se déshabiller « Et complètement ! » Tétanisée, elle en était absolument incapable. C’est maman qui a dû la dévêtir, vêtement après vêtement, tout en la rassurant et en la consolant. « C’est pour ton bien, ma chérie ! Et puis tu te sentiras tellement mieux après quand tu auras expié tes fautes. »
‒ Qu’est-ce qu’elle avait fait au juste ?
‒ Alors ça ! Il y a qu’elle qui le sait. Et l’higoumène. Elle est très secrète, Ekaterina. Elle le dira pas. Iourievna, elle, elle pense que sûrement, c’est parce qu’elle a essayé de détruire un couple, de piquer le mec d’une autre nana, mais enfin, elle a l’imagination très fertile, Iourievna, et tendance à penser que tout le monde fonctionne comme elle.
‒ Tu l’aimes pas beaucoup, hein, ta sœur !
‒ Si ! Enfin, ça dépend ! Mais c’est vrai qu’elle fait des trucs, des fois, qui me sortent par les yeux.
T’en penses quoi, toi, d’elle ?
‒ Qu’est-ce tu veux que j’en pense ? Rien. C’est ta sœur, et puis voilà !
‒ Je me demande, par moments.
‒ Tu te demandes quoi ?
‒ Si t’as pas envie d’elle. Parce qu’on est jumelles toutes les deux. Son corps, c’est aussi le mien. Mêmes visages. Mêmes bouches. Mêmes seins. Mêmes fesses. Alors je me dis que, quand tu la vois, elle, c’est aussi moi que tu vois et que tu pourrais très bien la désirer comme tu me désires, moi. Me désirer à travers elle. Ou l’inverse. La désirer à travers moi.
Il s’est penché pour m’embrasser.
‒ Oui, ben alors là, t’as tout faux. D’abord parce que, physiquement, il y a plein de petits détails qui diffèrent entre vous. Ce pli, là, tout mignon, au coin de ta lèvre. Un reflet doré dans tes yeux qu’elle n’a pas, elle. Tout un tas d’expressions. Votre sourire. Et puis surtout il y a ce que vous êtes à l’intérieur. C’est le jour et la nuit. Toi, tu m’émeus. Elle, pas du tout.
‒ C’est gentil ce que tu me dis là. Et ça me rassure. Tu peux pas savoir ce que ça me rassure.
Il m’a encore embrassée. Longuement. S’est redressé.
‒ En attendant, on sait toujours pas ce qu’Ekaterina avait fait pour mériter sa correction. T’as pas une petite idée, toi, de ton côté ?
‒ Si ! La connaissant, je pense qu’elle a dû tout faire pour minimiser l’importance des fautes qu’elle avait commises. Ergoter. Discutailler. Pinailler. Ce qui a conduit l’higoumène à estimer, d’autant que ce ne devait pas être la première fois, qu’il fallait lui faire prendre conscience, une bonne fois pour toutes, que ses péchés, s’ils n’étaient pas graves en eux-mêmes, le devenaient par leur multiplicité, leur répétitivité et la fâcheuse tendance qu’elle avait à les sous-évaluer. Et, à mon avis, la leçon aura porté. Parce que les deux religieuses, là, elles n’ont pas d’états d’âme. On leur demande de fouetter, elles fouettent à tout-va. Avec la conscience d’accomplir un devoir sacré. Parce que t’aurais vu dans quel état il était, le jeune type, quand elles l’ont ramené. Il chialait tout ce qu’il savait. Et il était zébré de partout. Devant. Derrière. En haut. En bas. Ah, il avait dû déguster ! Ce qui l’a pas empêché de bander quand il a vu Ekaterina toute nue. Aussi sec, elle s’est mise à grimper, sa breloque. Alors qu’il venait pourtant de décharger cinq minutes avant et que ça devait le brûler de partout. Ils sont trop, les mecs, quand même dans leur genre ! En tout cas, tout le temps qu’il s’est rhabillé, et ça a mis un moment, parce qu’enfiler des vêtements quand on vient de s’en prendre une comme ça ! Il a même fallu qu’on l’aide pour son tee-shirt, Iourievna et moi… eh bien tout le temps qu’il s’est rhabillé, il a pas quitté Ekaterina des yeux. Mais elle, elle s’en fichait pas mal, à ce moment-là, de lui faire de l’effet, à ce type. La seule chose qui comptait, à ses yeux, c’était que ça allait pas tarder à être son tour. Et effectivement ! Les deux religieuses sont venues l’empoigner, chacune par un bras. « Allez, ma belle ! » Elle avait les tétons tout pointés d’appréhension. Et Iourievna a murmuré : « Je suis sûre qu’elle mouille en plus tellement elle a peur ! » Elle a supplié. « Ma mère ! Ma sœur ! Pas tout de suite ! Pas tout de suite ! Encore un peu ! » Mais elles n’ont rien écouté du tout. « Par ici ! » Alors elle s’est mise à hurler, à trépigner et à résister de toutes ses forces. Tant et si bien qu’elles ont été obligées de la traîner jusqu’au portique et de l’y attacher, par les poignets et par les chevilles, suspendue en l’air à plat ventre, écartelée au large. Iourievna a murmuré : « Eh ben dis donc ! Heureusement qu’il est parti, le type ! » Mais il y avait quand même l’higoumène qui surveillait attentivement le déroulement des opérations. Qui a donné le feu vert aux deux religieuses. Et les deux martinets se sont aussitôt abattus. Sur les deux fesses alternativement. Elle bondissait du derrière, Ekaterina. Un derrière qui a très vite marqué. Elle tirait sur ses liens. Sans succès, évidemment. Et elle hurlait. Elle hurlait tant qu’elle pouvait. Elle hurlait tellement que les deux religieuses ont fini par s’interrompre pour s’assurer qu’elles n’y allaient pas trop fort. Elles ont examiné, elles ont palpé et Mère Hypandia a conclu : « C’est une comédienne ! » Et c’est reparti de plus belle. À nouveau les fesses, mais aussi les cuisses. Et le dos. Sur toute sa surface. Ses seins se balançaient en cadence et elle poussait un long hululement entrecoupé de plaintes : « Ça fait mal ! Oh, que ça fait mal ! » Elle en a pissé par terre de douleur. Une grande flaque qui s’est élargie, étendue et sur laquelle elles n’ont pas manqué d’attirer l’attention : « Quelle grande sale ! Même pas capable de se retenir. » Et les derniers coups, elles les ont portés un peu partout, aux endroits les plus sensibles, là où la peau était encore intacte. L’higoumène leur a fait signe d’arrêter. Il estimait que la punition était suffisante, qu’on pouvait s’en tenir là. Elles ont détaché Ekaterina. Il l’a bénie. « Va en paix ! »
‒ Hou ! Eh ben dis donc !
‒ Oui, hein ! Mais tu sais, faut pas croire qu’elle l’ait si mal vécue que ça, cette punition en fin de compte. Sur le moment, oui, bien sûr ! Ça peut pas être autrement. Mais tu la verrais depuis ! Elle est apaisée. Sereine. Épanouie, même, dans un sens. Et pieuse. Quand on récite nos prières, le soir, tous ensemble, c’est elle la plus fervente maintenant. Et de loin. Mais ça, de l’extérieur, quand on l’a pas soi-même vécu, c’est difficile à comprendre. Impossible même. Tu peux pas réaliser quel bonheur c’est de se sentir pardonnée. De reprendre sa place, purifiée, parmi les autres fidèles. Et encore ! Moi, c’est juste pour avoir dû jeûner… Mais Ekaterina, elle, elle dit que tu la ressens au centuple, cette paix intérieure, quand t’as mérité d’être fouettée et que tu l’as été. Et que tous ceux à qui c’est arrivé et avec qui elle en parle ressentent exactement la même chose.
‒ Comme le jeune qui y est passé juste avant elle ?
‒ Lui, oui, bien sûr ! Ils sont d’ailleurs en train de devenir amis tous les deux, je crois. Mais pas seulement lui. Parce qu’on les connaît tous ceux qui y ont eu droit à la fouettée. Tout le monde sait qui c’est, vu qu’ils ont un banc qui leur est spécialement réservé à l’office, le dimanche. Et qu’ils ont pas le choix : c’est là qu’ils doivent impérativement venir s’installer. Qu’on les voie bien. Que ça serve d’exemple à tout le monde. Et que ça leur rappelle ce qui leur est arrivé. Pour leur ôter l’envie de recommencer.
‒ Ils sont nombreux ?
‒ Neuf maintenant. Depuis qu’il y a ce type, Ivan, et ma sœur. Ce qui fait trois hommes et six femmes. Dont une qu’a cinquante ans.
‒ Et on lui a fait quand même ?
‒ Oh, ben oui ! Oui. Il y a pas de raison. Pas de raison qu’il y ait deux poids deux mesures. Si l’higoumène estime que c’est cette punition-là qu’il te faut, tu discutes pas. T’acceptes. Elle, en plus, comme il considérait que ce qu’elle avait fait était particulièrement grave, il a voulu que ce soit devant une vingtaine de paroissiens qu’elles le lui donnent, le martinet, les religieuses.
‒ T’en faisais partie ?
‒ Oui. Parce que c’est lui qu’a choisi et qu’il en a pris beaucoup parmi les plus jeunes pour qu’elle ait bien honte. Ce qui a été le cas : pour réussir à la faire déshabiller, ça a été la croix et la bannière. Et pour l’empêcher de se cacher les seins et l’encoche aussi. Cela étant, elles ont tapé beaucoup moins fort que pour Ekaterina. Sûrement parce qu’elles avaient peur qu’elle supporte moins bien, vu son âge. Mais, d’un autre côté, elles ont compensé par tout un tas de réflexions humiliantes. Et elles l’ont obligée, sur ordre de l’higoumène, à rester plus d’un quart d’heure toute nue devant tout le monde sans baisser les yeux. Et apparemment que, là aussi, ça a été efficace comme punition parce que, le dimanche suivant, à l’office, elle a demandé à dire quelques mots. Et elle a remercié l’higoumène, Mère Hypandia, sœur Anna et tous ceux qui avaient assisté à sa punition de l’avoir remise dans le droit chemin. « C’était absolument indispensable. Alors merci. Merci à tous. Du fond du cœur, merci. » Et elle a fondu en larmes.
‒ Et là non plus, vous n’avez jamais su ce qui lui avait valu cette correction ?
‒ Non. L’higoumène lui a gardé le secret. Mais il s’est dit que c’était parce qu’elle couchait en secret avec son gendre, le mari de sa fille.
‒ Carrément ! Effectivement, si c’était ça, il fallait mettre un coup d’arrêt.
‒ Ce qui a été fait. Et apparemment, elle doit tenir le coup. Parce qu’à Noël elle a encore voulu  m’exprimer sa gratitude. Elle m’a envoyé une boîte de chocolat avec un petit mot très chaleureux. « Encore merci. Vous m’avez rendu un immense service. » Et tout le monde en a reçu une. Pas seulement moi. Tous ceux qui ont assisté à sa punition ce jour-là. Sans exception.



Et Iourievna ? On la connait

Je crois, Elena nous l'a longuement présentée mais si vous êtes passés à côté,  voici le premier épisode de la série : le chapitre 1

Il y a un début à cette série

Le chapitre 1
et l'épisode précédent : chapitre 8
Mais si vous voulez lire ce récit d'un autre point de vue : les rebelles chapitre 9

Et la suite ?

François nous propose le chapitre 10 acte 1

N'hésitez pas pour les commentaires

Tout le monde les attend : que pensez-vous de cette série croisant l'imaginaire d'Elena et celui de François ?

2 commentaires:

  1. Bonjour à tous,
    Il y a de bonnes idées dans le texte, que je n'avais pas explorer. Les textes sont toujours aussi riches et vivants. C'est très bien.
    Amitiés.
    Elena.

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  2. Bonjour Elena. Et bonjour à tous.
    C'est un voyage au long cours que j'ai entrepris là. Auquel, au fur et à mesure qu'il se déroule, je prends de plus en plus de plaisir.
    Amicalement.
    François

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