jeudi 5 mars 2020

Le journal d'Olga - chapitre 10 - acte 1

C’est Léa qui nous a appris la nouvelle. Dans la cour. Pendant la récréation.
« On va avoir une coach en EPS.
‒ Hein ? Qu’est-ce que c’est que cette histoire ? On en a déjà un de prof, Philippe M.
‒ Oui, mais à ce qu’il paraît qu’il est prévu une compétition entre les établissements scolaires et que la directrice tient absolument à ce que Sainte-Croix fasse honneur à sa réputation. Et figure en bonne place, de préférence la première. Alors elle a recruté quelqu’un en plus.
‒ Et c’est qui, cette coach ? Elle sort d’où ?
‒ Elle s’appelle Jessica T. Elle a trente-trois ans. Et elle s’occupera de nous entraîner en gym et en athlétisme, vu que ce sont les deux disciplines qui compteront pour leur espèce de concours des établissements, là.
Ça nous a mis le moral en berne. Parce que l’EPS, franchement, c’était pas notre tasse de thé. C’était la tasse de thé de personne à Sainte-Croix d’ailleurs. De presque personne.
Iourievna a soupiré.
‒ S’il faut se coltiner de bosser sérieusement la gym ! En plus du reste !
Augustin, lui, a levé les yeux au ciel.
‒ Et vous allez voir que, pour couronner le tout, ils vont nous avoir dégoté une peau de vache de chez peau de vache. »

On avait tort d’appréhender. Parce qu’elle était sympa comme tout en fait. Une grande blonde. Pas mal foutue. Féminine en diable. Qui habitait le même immeuble que Léa.
« Oui. Je la vois promener son chien des fois, le soir. Elle a pas l’air désagréable du tout.
Ce qu’elle a presque aussitôt voulu, cette coach, c’est se la jouer dans le registre : « Vous êtes adultes et responsables. Alors je vais pas vous assommer de grands discours. Ni vous menacer de quoi que ce soit. Vous avez un examen en fin d’année. Et, d’ici quelque temps, une compétition où seront en jeu la réputation et l’honneur de votre école. Alors vous savez ce qu’il vous reste à faire. »
On savait, oui. Mais savoir, c’était une chose et se sortir les doigts du cul pour obtenir des résultats, c’en était une autre.
Elle, elle suivait son idée fixe. Avec chronomètre, petits schémas au tableau blanc et interminables exposés techniques.
‒ Vous avez compris ?
À peu près, oui.
‒ Eh bien action alors !
Mais on se traînait lamentablement sur la piste. On faisait des temps calamiteux. On sautait péniblement quatre-vingts centimètres en hauteur.
Elle insistait. Elle nous encourageait.
‒ Allez ! Allez ! Vous y arriverez.
Elle était tellement dans son truc qu’elle ne se rendait absolument pas compte qu’on en avait strictement rien à battre de l’athlétisme et de la gym. De moins en moins d’ailleurs. Parce que plus elle semblait accorder, elle, de l’importance à tout ça et moins nous, par réaction, on s’investissait. Tout en faisant semblant de prendre les choses aussi à cœur que possible.
‒ On fait ce qu’on peut, M’dame ! Mais on n’est pas doués.
‒ Mais si ! Tout le monde est doué. Plus ou moins, mais tout le monde l’est. Après, c’est une question d’entraînement…
Et elle a obtenu de la directrice des heures d’entraînement supplémentaires.
‒ Manquait plus que ça ! »
Nos performances ne se sont pas améliorées pour autant. Au contraire. Dépités de devoir consacrer au sport un peu plus de temps encore, on tirait au flanc tant qu’on pouvait. Discrètement, mais allègrement.
Elle, elle continuait à nous prodiguer imperturbablement ses encouragements, mais on sentait bien qu’elle commençait à désespérer. À deux ou trois reprises, il y en a même qui l’ont surprise les larmes aux yeux.

Théo, lui, la gym, les compétitions, la coach, tout ça, c’était pas sa priorité. Non. Depuis que je lui avais parlé des fouettées que l’higoumène imposait à ses pénitentes, il remettait en permanence le sujet sur le tapis. C’est sur cette femme d’âge mûr qui avait été punie pour avoir couché avec son gendre qu’il m’interrogeait surtout. « Puisque tu y étais ! » Il m’assaillait de questions. Il voulait tout savoir. Comment elle était physiquement, cette femme. La façon dont s’était déroulée la punition. Ce qu’elles lui disaient, les religieuses, pour l’humilier. Il lui fallait toujours plus de détails. Encore et encore. Tant et si bien que j’ai fini par m’interroger. Et par l’interroger.
« Eh, ben dis donc, tu fais une sacrée fixation sur elle, on dirait… »
C’était pas ça, non ! Enfin pas vraiment. C’était que… Et il a fini par me raconter qu’avant, avant de venir s’installer ici avec ses parents, ils habitaient une maison qui faisait face à un immeuble, de l’autre côté de la rue. Tout près. Trop près. Ce qui les faisait râler, ses parents. « On n’est plus chez soi ! » Et, parmi ces gens d’en face, il y avait une caissière de grande surface, une femme d’une cinquantaine d’années, qui vivait seule et avec laquelle il échangeait quelques mots, en bon voisin, quand il allait faire les courses. Or, un soir, sur le coup de huit heures, il avait été attiré à la fenêtre de sa chambre par des cris. Elle était sur son balcon, le cul à l’air, tournée vers lui, et un inconnu était en train de lui flanquer une gigantesque et retentissante fessée. Il hurlait. « Ah, tu le prends comme ça ! Ah, tu le prends comme ça ! » Il hurlait et il tapait. Elle aussi, elle hurlait. En le suppliant d’arrêter. « S’il te plaît, Johann ! S’il te plaît ! » Ça avait duré, mais duré ! Quand il avait enfin mis un terme, elle avait le postérieur d’un rouge flamboyant. Elle s’était alors très vite réfugiée à l’intérieur, mais n’avait pas pu s’empêcher de jeter au préalable un regard circulaire et inquiet autour d’elle. Et elle avait vu qu’il avait vu. Il avait aimé. Beaucoup. Énormément.
« Ben oui ! Parce qu’à cet âge-là, ça les vexe bien plus que quand elles sont jeunes, une fessée ! Et alors si, en plus, il y a des garçons qui y assistent ! »
Mais il y avait pas que ça. Parce que, le lendemain, évidemment, il était allé faire des courses. Et elle était là, à sa caisse. Ce regard qu’elle lui avait jeté ! Tout pétri de honte.
« Elle jouait les prolongations en quelque sorte, sa fessée. Et encore maintenant ! J’y retourne exprès là-bas des fois. Même qu’on ait déménagé. Même que ça fasse des mois. Pour la voir avoir honte. Et c’est toujours là, entre nous. Ce le sera toujours. »
Comment ils brillaient, ses yeux !

En attendant, le jour J. approchait à grands pas. Sans que nos résultats se soient pour autant vraiment améliorés. Il a fini par arriver.
Elle était résignée, la coach.
« Faites ce que vous pourrez…
Juste avant le départ, en autocar, pour Aix-en-Provence, la directrice s’est fendue d’un discours particulièrement soporifique tout au long duquel elle nous a répété au moins vingt fois qu’elle comptait sur nous et qu’elle était persuadée qu’on porterait bien haut la bannière de Sainte-Croix.
Oui, tu parles ! On a enchaîné à qui mieux mieux les contre-performances. Tant en athlétisme qu’en gym. Et on s’est retrouvés bons derniers, éliminés piteusement de la compétition.
Il y en avait qu’étaient un peu déçus.
‒ Quand même… Si on avait fait un minimum d’efforts…
Mais la plupart s’en fichaient.
‒ Oh, tu parles ! C’est que du sport. »
Quant à Jessica T., elle ne nous a pas fait le moindre reproche. Elle s’est réfugiée dans le silence.

Le lendemain, en début d’après-midi, Léa m’a discrètement fait signe.
« Viens ! J’ai quelque chose à te raconter.
Et je l’ai rejointe dans son petit bureau de déléguée des élèves, juste à côté de celui de la directrice.
‒ Mais alors tu le répéteras pas, hein ! Tu me promets ? Ça me ferait avoir des ennuis.
‒ Même pas à Théo ?
‒ Oh, lui, de toute façon, je sais que tu lui diras. Alors…
Bon, mais c’était quoi ? Qu’est-ce qu’il y avait eu ?
‒ C’est Jessica T., la coach. Elle est venue au rapport, là, tout à l’heure, à côté. Suite aux compétitions d’hier.
‒ Ah ! Et alors ?
‒ Et alors, c’est du papier mâché, les cloisons ici. On entend tout dès que ça se met à parler un peu fort. Surtout…
Elle m’a fait un petit clin d’œil.
‒ Surtout… quand on y colle l’oreille. Et je peux te dire qu’elle s’est pris une de ces dégazées, la Jessica ! Impressionnant. Qu’elle était absolument incapable de motiver les élèves. C’était pourtant pas si compliqué que ça ! On utilisait des méthodes, à Sainte-Croix, qui avaient fait leurs preuves. Des fessées. À la main ou au martinet. Elle se croyait donc au-dessus de tout le monde qu’elle refusait d’y avoir recours ?
‒ Et elle répondait quoi, l’autre ?
‒ Rien. Elle pipait pas mot. Elle laissait passer l’orage. Un bon moment qu’il a duré d’ailleurs, l’orage. Avec éclairs et coups de tonnerre. Jusqu’au moment où la directrice lui a balancé comme ça que la première personne qu’il aurait fallu motiver, c’était elle. De la manière appropriée. Alors là, elle s’est mise à protester. « Non, mais alors là, sûrement pas ! » Mais la directrice a enfoncé le clou. Parfaitement qu’elle en méritait une. Et une bonne ! Même qu’elle allait l’avoir. C’était prévu dans son contrat n’importe comment ! Elle l’avait pas lu ? À moins qu’elle préfère le dénoncer, le contrat ? Libre à elle. Mais elle savait ce que ça allait lui coûter ! Cinq ans de salaire. À payer cash. Ça aussi, c’était stipulé dans le contrat. Écrit noir sur blanc. Alors ? Elle décidait quoi ? Il s’est murmuré quelque chose. Que je n’ai pas entendu. Il y a un bruit de feuilles qu’on tournait, celui d’une badine qui sifflait en l’air et puis, à nouveau, la voix de la directrice. « Déculottez-vous, Jessica ! » « Oh, Madame la directrice ! » « Exécution ! Si vous voulez pas aggraver votre cas. Là ! À la bonne heure ! Vous voyez que vous pouvez quand vous voulez. Et maintenant penchez-vous en avant sur le bureau. Allez ! Et écartez bien les jambes. » Il y a eu un long moment de silence. Après quoi elle a passé un coup de fil à Philippe M. « Venez me rejoindre dans mon bureau. Tout de suite, oui. » Et elle lui a dit pourquoi. Alors tu penses bien que l’autre, il a pas perdu de temps. Trente secondes après, il était là, tout frétillant.
‒ Comment elle devait être mal, la Jessica ! À poil devant son collègue. Surtout lui !
‒ Ah, ça ! J’aurais pas voulu être à sa place. Et encore moins quand elle a commencé, la fouettée. Parce que ça tombait sacrément dru. Elle gémissait. Elle piaulait. Elle suppliait « Oh, non ! Arrêtez ! Ça fait trop mal. » Et elle devait gigoter que le diable et essayer d’échapper vu qu’à un moment, la directrice a demandé à Philippe M. de passer de l’autre côté du bureau pour lui tenir solidement les poignets.
‒ Il devait plus rien voir du coup !
‒ Ah, ben non, forcément ! Et ça a repris de plus belle. Elle hurlait tout ce qu’elle savait. Ce qui n’a pas apitoyé le moins du monde la directrice. Ça la stimulait au contraire. Elle tapait, ça s’entendait, de plus en plus fort. Elle a arrêté d’un coup. « Là ! Et si vous ne changez pas de méthode, si les résultats de vos élèves ne s’améliorent pas sensiblement, la prochaine fois c’est au martinet que vous aurez droit. Compris ? » Elle avait compris, oui. Je me suis douté qu’elle n’allait pas tarder à sortir. Et j’ai discrètement entrebâillé ma porte pour la voir passer. Elle n’avait pas pris le temps de se rhabiller. Elle a filé dans le couloir, vers les vestiaires, en rasant les murs, ses vêtements serrés contre elle. Elle avait le cul dans un état, mais dans un état ! J’ai ouvert la porte plus au large, pour mieux voir. Mais juste au moment de disparaître, elle s’est retournée.
‒ Et elle s’est rendu compte que t’étais là…
‒ Ah, ben oui, ça ! »

Théo m’attendait en bas.
« Elle te voulait quoi ?
‒ Attends ! Viens ! Je vais te raconter.
Il m’a écoutée, les yeux écarquillés.
‒ C’est pas vrai ! Non, mais c’est pas vrai !
Eh, si, ça l’était ! Si !
Il en revenait pas.
‒ Une fessée, la coach ! Ah, ben ça alors !
‒ Et tu sais à quoi j’ai pensé ? Elle habite le même immeuble qu’elle, Léa. Tous les soirs, elle la voit aller promener son chien. Alors si on s’y pointait ? On ferait un petit tour dehors, tous les trois. Histoire de la croiser. Et que ce soit justement aujourd’hui, comme par hasard, elle va forcément se douter que Léa nous a tout dit. Et qu’on est venus exprès.
Sa glotte a tressauté. Ses yeux se sont voilés.
‒ Comment elle va avoir honte !
Mais il s’est aussitôt rembruni.
‒ Elle va peut-être pas vouloir, Léa…
‒ Oui, alors là, ça m’étonnerait !

Léa s’est assise sur le radiateur.
‒ De là, je la verrai forcément sortir.
A jeté un œil sur son portable.
‒ Ce qui devrait pas tarder. C’est toujours entre neuf heures et neuf heures et quart qu’elle le sort, son clébard.
En attendant, ce qu’elle se demandait, elle, c’était si Philippe M. s’était branlé après l’avoir vue se faire fouetter dans le bureau de la directrice.
‒ Ou plutôt, ce que je me demande, c’est combien de temps il a tenu. Il a dû se précipiter dans les premières toilettes venues, oui ! Et décharger aussi sec…
Elle s’est levée.
‒ La v’là !
On est descendus. Et on l’a suivie. Pas trop près. Mais pas trop loin non plus.
Théo a murmuré.
‒ Quand je pense qu’elle a le cul tout rouge là-dessous. C’est trop ! Non, mais comment c’est trop.
Et Léa a fait remarquer.
‒ Vous avez vu comment elle marche ? Ah, là, elle pourrait pas nier qu’elle s’en est pris une.
Le chien s’arrêtait au pied de chaque arbre, au pied de chaque réverbère, reniflait, levait la patte. Elle, elle attendait patiemment qu’il ait terminé. En jetant, de temps à autre, des coups d’œil autour d’elle. Tant et si bien qu’elle a fini par nous apercevoir, mais elle s’est aussitôt détournée, faisant mine de ne pas nous avoir vus. On a tranquillement poursuivi notre route. On est parvenus à sa hauteur. Elle nous tournait le dos.
‒ Bonsoir, M’dame !
Elle a feint la surprise.
‒ Ah, bonsoir !
Et elle a concentré toute son attention sur son chien. Dont elle a fait mine de croire qu’il tirait sur sa laisse.
‒ T’as pas fini, toi ? Ce que tu peux être pénible quand tu t’y mets !
On s’est éloignés. En riant sous cape.
Théo m’a pris la main. Me l’a serrée.
‒ C’était trop bon…


Et Iourievna ? On la connait

Je crois, Elena nous l'a longuement présentée mais si vous êtes passés à côté,  voici le premier épisode de la série : le chapitre 1

Il y a un début à cette série

Le chapitre 1
et l'épisode précédent : chapitre 9
Mais si vous voulez lire ce récit d'un autre point de vue : les rebelles chapitre 10 acte 1

Et la suite ?

François nous a préparé le chapitre 10, acte 2

N'hésitez pas pour les commentaires

Tout le monde les attend : que pensez-vous de cette série croisant l'imaginaire d'Elena et celui de François ?

1 commentaire:

  1. Bonjour,
    J'avais envoyé un commentaire qui s'est perdu (encore) dans le confinement! Bien, dommage ...pas encourageant.
    Ramina

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