jeudi 16 avril 2020

Le journal d'Olga - chapitre 13 acte 1

Avec Elena, on s’entend à merveille, Iourievna et moi. Mêmes racines slaves, mêmes goûts, même façon, en général, de percevoir les choses. Tant et si bien qu’on est sans arrêt fourrées ensemble,  toutes les trois. À se prendre de grandes crises de fou rire. À se faire nos confidences. Et, évidemment, à parler des garçons.
Si moi, j’ai Théo, avec qui ça se passe bien, très bien même, du moins pour le moment, si Iourievna tombe amoureuse tous les trois jours et oublie l’heureux élu aussi vite qu’elle s’est enflammée pour lui, avec Elena, par contre, les choses sont beaucoup plus compliquées. Elle finit toujours par se trouver, bien malgré elle, dans des situations inextricables. Et, la plupart du temps, conflictuelles. Comme là, ces derniers temps, avec Adilson.
C’est pas le mauvais bougre, Adilson. Non. C’est juste qu’en bon sud-américain, il est résolument macho et très imbu de lui-même. Alors, il drague. Ça, pour draguer, il drague. Il drague comme il respire. Toutes les filles. Sans distinction. Nous aussi, Iourievna et moi, on y a eu droit. On lui a fait gentiment comprendre qu’on n’était pas intéressées et il n’a pas insisté. Il est aussitôt passé à d’autres.
Avec Elena, par contre, les choses ont tout de suite dégénéré. Selon elle, par sa faute à lui. Uniquement par sa faute à lui. « Non, mais attends ! Tu lui dis au type que c’est bon, que ça t’intéresse pas. Et faut qu’il revienne aussi sec à la charge. » Reste à savoir sur quel ton elle le lui a dit. « Ben, un ton normal ! » Et le problème est sûrement là. Parce qu’un ton normal pour elle, surtout quand elle s’adresse aux garçons, c’est un ton qui flirte toujours de très près avec l’agressivité. « Oui, ben ça, j’y peux rien, moi, hein ! C’est ma façon de parler. » Et, à tous les coups, il s’est vexé, Adilson.

Ce que m’a confirmé Théo. Parce que si nous, les filles, on parle entre nous, les garçons, eux aussi ils parlent entre eux, quand on n’est pas avec. Et ce qu’il raconte à qui veut l’entendre, Adilson, c’est qu’elle l’a allumé. « Et pas qu’un peu ! Seulement quand il s’agit d’assumer, là, il y a plus personne. » Elle s’en est étranglée de fureur, Elena. « L’allumer, moi ? Cet espèce d’abruti ? Dans ses rêves, oui ! » Du coup, c’est à couper au couteau maintenant entre eux. Ils n’arrêtent pas de s’envoyer des piques à tout bout de champ. De se défier du regard.
Les professeurs s’en rendent compte, évidemment, et sont obligés de les rappeler constamment à l’ordre. Du côté des élèves, deux camps ont fini par se former : l’un, plutôt des filles, qui soutient Elena. Qui trouve qu’il y en a assez de ces garçons qui se croient tout permis, qui s’imaginent qu’il suffit qu’ils claquent des doigts pour qu’on s’allonge docilement, les cuisses ouvertes. Et l’autre, plutôt des garçons, qui pense qu’Elena s’est délibérément fichue d’Adilson et qu’elle a voulu le ridiculiser devant toute l’école. Que c’est un peu normal, du coup, qu’il l’ait mal pris et qu’il veuille lui rendre la monnaie de sa pièce. Ça a fini par prendre des proportions énormes, tout ça, et par susciter une sorte de climat de guérilla permanente qui maintient tout le monde sous pression et qui n’est guère propice aux études. Tant et si bien qu’au bout du compte c’est remonté jusqu’au bureau de la directrice qui les a convoqués. Et reçus l’un après l’autre.

On l’a attendue en bas, Elena.
« Alors ?
‒ Oh, ben alors, ça s’est pas trop mal passé. Plutôt bien même. J’ai minimisé. Tant que j’ai pu. J’ai fait preuve de la meilleure volonté du monde. Ça devrait s’arranger du coup. À condition qu’Adilson y mette aussi du sien. Il y est maintenant. C’est son tour. Elle nous dira, Léa.
Elle nous a effectivement dit. Elle nous a dit qu’Adilson l’avait chargée tant qu’il avait pu. Qu’il avait prétendu qu’elle le cherchait sans arrêt.
‒ Soi-disant, même, que tu lui aurais flanqué une baffe !
‒ Quoi ! Mais jamais de la vie ! Qu’est-ce que c’est que cette histoire ?
‒ Et qu’il y aurait des témoins.
‒ Des témoins ? Qui ça ?
‒ Clément. Entre autres.
‒ Mais c’est dégueulasse. C’est immonde. Si je l’avais là, devant moi, je sais pas ce que je lui ferais, tiens ! »

Toujours est-il qu’elle a été reconvoquée le soir même, mais ça, avec la directrice, fallait s’y attendre. Et que, cette fois, ça s’est pas bien passé du tout. Léa était d’ailleurs furieuse.
« Non, mais attends ! Moi, je fais tout pour t’arranger le coup, pour calmer le jeu et toi, tu te déchaînes. Une vraie folle hystérique.
‒ Je supporte pas qu’on m’accuse quand j’ai rien fait.
‒ Oui, mais c’est la directrice. T’as vu comme tu lui as parlé ? Limite si tu l’as pas insultée.
‒ Pourquoi elle le croyait, lui, et pas moi ? C’était pas juste.
‒ En tout cas, t’as entendu ce qu’elle t’a dit. T’as intérêt de te tenir à carreau, sinon c’est le conseil de discipline. Et le conseil de discipline, tu sais sur quoi, en général, ça débouche.
Elle savait, oui ! Et c’était une perspective qui la terrorisait.
Aussi a-t-elle pris soin d’ignorer Adilson autant qu’elle le pouvait. Et s’est-elle efforcée de ne pas répondre aux provocations sournoises qu’il multipliait comme à plaisir. Surtout en sport. Au basket, entre autres. Petits coups d’épaule par ci, jambe tendue par là pour la faire tomber. Elle ne ripostait pas. Jusqu’au moment où elle ne pouvait plus s’en empêcher. Trop, c’était trop. Et elle ruait dans les brancards. Tant et si bien qu’on finissait par ne plus savoir, vu de l’extérieur, qui avait commencé à titiller l’autre. Et ce qui devait arriver a fini par arriver. Hors d’elle, Elena s’est jetée sur lui, lui a balancé une dizaine de gifles, à toute volée, et l’a bourré de coups de pied.
Léa a hoché la tête. Et soupiré.
‒ Alors là, elle a tout gagné ! »

Elle avait tout gagné, oui. Parce qu’évidemment le prof de gym a fait son rapport et que, le soir même, ils ont été à nouveau convoqués, tous les deux, par la directrice. Ensemble. En présence de Philippe M. bien sûr, de la prof principale et de Léa.
Léa qui est sortie de là-dedans une fois de plus hors d’elle.
« Non, mais alors là, c’est bon ! Cette fois, je la défends plus. Elle se démerde.
‒ Qu’est-ce qu’il y a eu ?
‒ Il y a eu qu’elle s’est encore énervée, il y a eu. Une fois de plus. Et qu’elle s’est carrément jetée sur Adilson. Comme une furie. À vouloir lui donner des baffes. Il a fallu les séparer. Voilà ce qu’il y a eu.
‒ Hou là là !
‒ Comme tu dis, oui.
‒ Et c’est le conseil de discipline du coup ?
‒ Ah, ben ça ! Et sûr qu’elle va prendre cher.
‒ Elle est où ?
‒ Je sais pas. Elle a filé vers le gymnase. Elle pleurait comme une madeleine. »

C’est là qu’on l’a trouvée, au gymnase, affalée sur un banc.
« Ils vont me le faire, les filles, hein ? Ils vont me le faire…
Pour la rassurer, on a nié l’évidence.
‒ C’est pas sûr.
‒ Bien sûr que si que c’est sûr ! Mais je veux pas, moi ! Je veux pas ! J’aurai bien trop honte.
On l’a prise dans nos bras. On lui a tenu la main.
‒ Là ! Là ! C’est tout.
Elle s’est un peu calmée. Et puis s’est redressée d’un bond.
‒ Pas devant lui ! Pas devant ce connard ! Je le supporterai pas.
On l’a raccompagnée. Et on a passé la soirée avec elle. Dans sa chambre. À essayer de la réconforter. De la faire parler d’autre chose. De lui changer les idées. Mais c’est sans arrêt qu’elle revenait à « ça »
‒ C’est pas de ma faute, hein, les filles ? C’est lui.
C’était lui, oui. Qui avait bien su profiter de ce qu’elle montait très vite en pression pour tout lui faire retomber dessus.
‒ C’est ce qu’il me dit aussi, mon père ! Que c’est ce qu’il pourrait m’arriver de mieux finalement, une bonne fessée devant tout le monde. « Ça te servirait de leçon. Ça t’apprendrait à te contrôler Ce qui te ferait le plus grand bien. »
Elle s’est remise à pleurer.
‒ Je pourrai pas. Toute nue. Devant tout le monde. À me faire fouetter, comme ça. Je pourrai jamais.
‒ C’est dur, oui. On y est passées. On va pas te dire le contraire. C’est même très dur. Mais on s’en remet. La preuve !
‒ Pas moi ! Je crois pas. J’y arriverai pas. »

Théo était allé boire un coup avec son pote Sylvain. Et ils étaient tombés, sans le faire exprès, sur Adilson et toute sa clique. Qui fêtaient ce qu’ils appelaient la victoire. « Non, mais comment je l’ai bien eue, les mecs ! Comment je l’ai bien eue ! Ça va lui rabaisser un peu son caquet. » Et ils se régalaient tous par avance de lui voir fouetter le derrière. Et qu’elle soit obligée de tout montrer. « Ah, ça, elle va mal le vivre. Orgueilleuse comme elle est. » D’autant plus mal le vivre qu’ils étaient bien décidés à lui en faire baver. Avant. Pendant. Et après. « Non, parce que si elle s’imagine qu’une nana peut s’en prendre comme ça à nous sans payer la note ! »

Du côté des filles, c’était partagé. Il y avait celles qui la plaignaient. Sincèrement pour la plupart. Il y avait celles, comme Mylène et Margaux, qui se réjouissaient ouvertement. Mais elles, de toute façon, ce genre de spectacle, elles ne boudent jamais leur plaisir. Surtout quand c’est une fille qui ramasse. Et il y en avait d’autres qui trouvaient, elles aussi, que finalement ça lui ferait pas de mal à Elena de s’en prendre une. « Parce que, depuis le temps qu’elle répète haut et fort, à qui veut l’entendre, qu’elle y a toujours échappé et qu’elle y échappera toujours… » On comprend bien, avec Iourievna, pourquoi elle réagit comme ça. C’est qu’elle a une telle peur panique de la fessée qu’elle essaie de se persuader, en le répétant tant et plus, que ça ne lui arrivera jamais. Mais on comprend bien aussi que ça puisse les agacer, les autres filles. Parce que ça fait celle qui se croit au-dessus de tout le monde.

Le mardi, le conseil de discipline a décidé, comme on s’y attendait, de lui faire administrer soixante coups de martinet en public. Et toute nue. Elle en est sortie totalement abattue. Prostrée. Impossible, pendant toute la durée du trajet en car, de lui arracher le moindre mot.
« Laissez-moi, les filles ! Je vous en supplie ! Laissez-moi ! »
Et elle a sangloté tout du long.

Le lendemain, elle avait une tête à faire peur, les traits tirés, les yeux cernés.
« J’ai pas fermé l’œil de la nuit.
Sa nuit, elle l’avait passée à se remémorer, en boucle, toutes les fessées auxquelles elle avait assisté à Sainte-Croix.
Celle de Laura.
‒ Comment elle criait ! Non, mais comment elle criait ! Et puis alors comment elle les avait rouges, les fesses !
Celle de Léa.
‒ Ces regards qu’elle jetait tout autour d’elle ! Des regards de bête traquée.
Celle de Sixtine.
‒ Qu’il a fallu aider à se relever. Qu’a pas pu s’asseoir pendant trois jours. Et même… Et même toi, Iourievna.
‒ C’était pas une partie de plaisir, ça ! Mais bon, j’en suis pas morte. Et puis, il faut reconnaître… Je l’avais bien un peu mérité.
Oui, mais quand même ! Tous les garçons l’avaient vue. Surtout que ça avait bien tout montré quand elle gigotait dans tous les sens. Ils devaient bien y penser quand ils la voyaient. Chaque fois qu’ils la voyaient…
‒En tout cas, moi, je vais les garder bien serrées, les cuisses. Alors là !
Iourievna n’a pas répondu, mais elle a eu son petit sourire entendu.
‒ N’empêche, comment j’ai peur ! Non, mais comment j’ai peur ! »

Le jeudi, ça a été tout un défilé de filles qui venaient aux nouvelles, l’air faussement apitoyé.
‒ Alors ? T’appréhendes pas trop ?
Elle s’efforçait de donner le change. Haussait les épaules.
‒ Faut faire avec. J’ai pas le choix, n’importe comment !
Elles repartaient en riant sous cape.
Mylène, elle, a voulu savoir.
‒ T’es épilée ? Parce que c’est obligatoire, ça, tu sais ! Tu l’as fait ? Hein ? Tu l’as fait ? Non, tu l’as pas fait. Je peux, moi, si tu veux. J’ai l’habitude. Tu sentiras rien.
‒ Non. Ça ira, merci.
‒ Ben, pourquoi ? De toute façon, faudra bien que t’y passes.
‒ C’est bon, j’te dis !
‒ Ce que tu peux être coincée !
‒ Non, c’est pas ça, mais…
‒ Ah, si, c’est ça ! Si ! Qu’à la piscine tu te tortilles toujours sous ta jupe pour mettre et enlever ton maillot.
Margaux a surenchéri.
‒ Et même que tu te détournes vers le mur pour pas qu’on voie tes nibards.
‒ Sauf que là, tu vas bien être obligée de la montrer, ta petite chatte.
‒ Et tes mamelles.
‒ On va bien se régaler.
‒ Et on sera pas les seules.
Et elles se sont éloignées dans un grand éclat de rire.
‒ Quelles connes !
‒ Ah, ça, tu l’as dit ! »

C’est Théo qui nous a prévenues.
« Ils l’attendent dehors.
‒ Qui ça ?
‒ Ben, les copains d’Adilson, tiens ! Ils veulent lui faire une haie d’honneur. Et un brin de conduite.
‒ Ils sont nombreux ?
‒ Une douzaine.
‒ Il y est, lui ?
‒ Non. Pas fou. Il veut pas se mettre dans son tort.
C’est Iourievna qui a eu l’idée.
‒ Il y a une porte derrière le gymnase qui donne sur une petite rue. Suffirait qu’on demande au prof de gym qu’il nous l’ouvre.
Philippe M. a refusé tout net.
‒ Certainement pas. Tu assumes tes bêtises.
Il ne nous restait plus d’autre solution que le grand portail d’entrée. On a attendu. On a tergiversé. Et puis il a bien fallu finir par se jeter à l’eau.
‒ On va pas passer la nuit-là.
Dès qu’ils l’ont aperçue, ça a été une grande salve d’applaudissements.
‒ Ah, v’là la vedette !
‒ On a hâte de te voir sur scène, ma chérie, si tu savais !
‒ Ce récital que tu vas nous faire !
‒ Oh, oui, hein !
Et ils se sont tous mis à scander, sur l’air des lampions : « Elena ! Elena ! Elena ! »
Ça nous a poursuivies longtemps. Jusqu’à l’angle de la rue Debussy.


Et Iourievna ? On la connait

Je veux ! Elena nous l'a longuement présentée mais si vous êtes passés à côté,  voici le premier épisode de la série : le chapitre 1

Il y a un début à cette série

Le chapitre 1
et l'épisode précédent : chapitre 12 acte 2
Mais si vous voulez lire ce récit d'un autre point de vue : les rebelles chapitre 13 - acte 1

Et la suite ?

François nous a écrit le chapitre 13 acte 2

N'hésitez pas pour les commentaires

Tout le monde les attend : que pensez-vous de cette série croisant l'imaginaire d'Elena et celui de François ?

2 commentaires:

  1. Bonjour François,
    J'adore les précisions apportées par votre texte, en complément du mien. J'adore cette complicité que nous avons.
    Merci.
    Elena.

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  2. Bonjour, Elena. Et bonjour à tous.

    Oui. C'est la première fois que je me coule, comme ça, dans un autres univers que le mien. Jusque là, j'étais seul maître à bord. C'est une expérience enthousiasmante. Il faut dire aussi que nos imaginaires se font remarquablement bien écho.
    Amicalement.
    François

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