Mes premières fessées - chapitre 12

Ça ne l’étonnait pas, Philibert. Pas le moins du monde.

– Champagne. Ben, voyons ! En trinquant et en te faisant tout un tas de grimaces et de mamours, je parie. Comme si elle venait pas de t’en coller une carabinée avant pour avoir bu justement. Mais c’est tout ma sœur, ça. Tu sauras jamais à quoi tu dois t’en tenir avec elle. Elle souffle le chaud et le froid. Comme ça l’attrape. Parce que tel est son bon plaisir. Sans logique apparente. Le but, en fait, c’est de te désorienter. Que tu ne saches jamais à quoi tu dois t’attendre. Tellement bien que tu finis par être complètement à sa merci. Et alors là, elle te prend un de ces pieds !

Il s’est levé, s’est mis à arpenter la chambre de long en large.

– T’es mal barré, là. Franchement, je te le dis comme je le pense, t’es mal barré. Maintenant qu’elle a obtenu de ma mère de pouvoir s’occuper de toi, je vois vraiment pas comment tu pourrais réussir à desserrer l’étau. Surtout que… t’es un peu amoureux d’elle, non ?

J’ai haussé les épaules.

– Je sais pas. Il y a des moments, j’ai l’impression que oui. Malgré tout. Malgré tout ce qu’elle…J’en suis même sûr. Et puis il y en a d’autres où elle me sort complètement par les yeux. Où je rêve de lui faire subir tout ce qui me passe par la tête. Où…

– Oui, t’es amoureux, quoi ! Ça se voit n’importe comment. Rien qu’à ta façon de la regarder des fois. Ou la voix toute douce que tu prends pour lui parler. D’autres trucs encore. T’es pas le premier, tu sais ! Elle en fascine tout un tas des mecs, ma sœur. Et ils en bavent. Dès qu’il y en a un qui lui tombe entre les griffes, elle le fait tourner complètement en bourrique. Et encore ! Eux, elle leur donnait pas la fessée. Mais avec ça en plus, toi, je crois vraiment que tu vas morfler quelque chose de rare. Faudrait que tu t’extirpes de là-dedans vite fait. Sauf que je vois pas trop comment tu pourrais t’y prendre. Parce qu’il y a ce qui s’est passé l’été dernier : on revient toujours buter là-dessus. Elles ont toutes les preuves en mains. Alors si elles veulent, elles te foutent ta carrière en l’air. Un homme de loi qui vole, ça fait quand même plus que désordre.

Il s’est laissé tomber de tout son poids sur son lit, s’est appuyé sur un coude.

– Faut aussi que je te dise, à toutes fins utiles : elle couche pas, Amélie. Une queue en elle, elle trouve ça avilissant. Elle prétend que c’est leur donner barre sur elle, aux mecs. Alors elle se débrouille autrement. Avec des godes : elle en a un plein tiroir. Et même, je crois bien, avec des nanas. Je suis pas sûr, mais il y a quand même pas mal d’indices qui me font penser que oui. Enfin tout ça pour te dire qu’il faut pas que tu te fasses trop d’illusions de ce côté-là. T’as pratiquement aucune chance de la mettre dans ton lit.

Et il s’est replongé dans sa lecture.

J’ai croisé mes mains sous ma nuque.

Pourquoi il me disait ça, Philibert ? Il y avait eu Gontran pourtant. Et pas plus tard que la veille. Gontran dont elle m’avait affirmé haut et fort qu’elle avait couché avec. Alors pourquoi il me disait ça ? Parce que, pour une raison ou pour une autre, elle lui faisait croire que ça l’intéressait pas, le cul avec des mecs ? Parce qu’il savait bien ce qu’il en était vraiment, mais qu’il espérait me guérir, par ce pieux mensonge, de la passion dévastatrice qu’il était convaincu que j’éprouvais pour elle ? À moins encore qu’il ne se soit rien passé du tout entre ce Gontran et elle, qu’il ne se soit agi que d’un ami qu’elle avait utilisé pour me persuader qu’elle accordait à d’autres ce qu’elle ne m’accorderait jamais à moi. Et puis peut-être faisais-je complètement fausse route. Peut-être était-ce complètement autre chose. À quoi je ne pensais pas.

Je me suis levé d’un bond. Et puis zut ! Zut ! Je n’allais pas passer mon samedi à m’interroger sur le pourquoi et le comment des comportements d’Amélie. J’en avais rien à foutre de cette fille. Strictement rien. Et je suis allé m’installer à mon ordinateur.

Il s’était à peine écoulé dix minutes quand elle a fait brusquement, comme à son habitude, irruption dans la chambre.

– Salut, les garçons !

Elle est venue se pencher par-dessus mon épaule.

– Qu’est-ce tu fais ?

– Rien. Un jeu.

– Oui. Tu t’emmerdes, quoi ! Tu peux aller voir ton copain Sylvain, si tu veux, puisque tu n’as pas cours aujourd’hui. Je n’y vois, pour ma part, aucun inconvénient.

– Mais…

– Mais quoi ? Ma mère ?

Elle m’a ébouriffé les cheveux.

– Faut que tu te mettes dans la tête une bonne fois pour toutes que maintenant c’est plus elle qui décide pour tout ce qui te concerne, c’est moi. C’est ce qu’on a convenu toutes les deux. Et moi, je n’ai pas l’intention de te priver systématiquement de tout. Du moment que tu te comportes raisonnablement et que tu ne laisses pas tes études à vau-l’eau…

Elle s’est retournée sur le pas de la porte.

– Allez, file ! Profites-en !

L’a claquée.

Philibert s’est redressé sur un coude.

– Moi, à ta place, je me méfierais quand même. Parce qu’il y aurait anguille sous roche que ça m’étonnerait pas…

Sylvain était ravi de me voir.

– Entre ! Entre ! Assieds-toi ! Tu sais quoi ? Eh bien, j’ai fait la connaissance d’Amélie, là, la fille de la femme chez qui t’habite.

– Ah !

– Oui. Elle tenait absolument à me rencontrer. Pour m’entretenir de toi. De ce qui t’arrive.

Hou là ! Je craignais le pire, là ! Je craignais vraiment le pire. La connaissant, elle était capable d’être venue tout lui déballer. Fessée et tutti quanti.

– T’aurais quand même pu m’en toucher un mot, non, tu crois pas ? On est copains, merde, ou on l’est pas ?

J’ai croisé, décroisé, recroisé les jambes.

– C’est-à-dire que… C’était pas vraiment facile… C’est le genre de choses…

– Je sais, oui. La dépression, c’est une sacrée saloperie de maladie. C’est sournois. C’est insidieux. Quand ça t’attrape, tu n’es plus que l’ombre de toi-même.

J’ai poussé intérieurement un immense soupir de soulagement. Elle m’avait gardé le secret. Et j’ai été pris pour elle d’une immense bouffée de reconnaissance.

– Je comprends mieux maintenant. Je comprends mieux pourquoi tu faisais tant de difficultés dès qu’il s’agissait de se voir. Tu te terrais. Tu te repliais sur toi-même. Sortir, voir du monde, c’était devenu, pour toi, un effort colossal. Ça l’est toujours. Oh, mais t’inquiète pas ! On va t’extirper de là-dedans. Pour ma part, en tout cas, je ne vais pas te laisser tomber. Alors là, il y a pas de risque. Maintenant que je sais de quoi il retourne. Et puis d’abord, pour commencer, on va sortir tous les deux. On va s’amuser. Comme au bon vieux temps. Tu vas voir ce que tu vas voir. J’ai même déjà lancé la machine. Et contacté Estelle. Tu te rappelles Estelle ?

Si je me rappelais !

– Ben, tiens ! Ça m’aurait étonné aussi ! T’étais amoureux d’elle à l’époque…

– Peut-être un peu.

– Un peu ? T’y étais complètement accro, oui, tu veux dire ! Même que, quand elle s’est mise en couple avec Martin, tu nous as fait toute une comédie. Et t’en as pas dormi d’une semaine. Donc, on va la revoir. Elle est d’accord. Elle est même enthousiaste. Et je te signale, au cas où ça t’intéresserait, que désormais elle est libre. Elle l’a quitté son Martin. Alors, si le cœur t’en dit… À moins que tu ne préfères t’attaquer à Sonia.

– Sonia ?

– Sonia, oui. Elle aussi, je l’ai contactée. Je l’ai même rencontrée. Elle est époustouflante. Mille fois plus en beauté encore qu’à l’époque. Tu pourras juger par toi-même.

– Bon, mais alors t’as prévu quoi au juste ?

– Un kebab. Demain à midi. Histoire de renouer. De reprendre contact. Après, on verra. Tout va dépendre de la façon dont les choses auront tourné.

– C’est toi, Raphaël ?

Amélie. De l’intérieur de sa chambre.

C’était moi, oui.

– Eh bien, entre ! Viens me raconter. Alors ? T’as passé une bonne après-midi ? Oui ? Tant mieux. Faut dire qu’il est très sympa, ce Sylvain, tout compte fait. Et puis plombé. C’est pour ça : ce n’était pas du tout dans mes intentions au départ. J’avais envisagé complètement autre chose. Et puis finalement, à parler avec lui, j’ai fini par décider de te lâcher un peu de lest. Il faut bien que tu puisses respirer un peu de temps en temps. Que t’aies une soupape de sécurité. Mais attention ! Au moindre faux pas, à la moindre incartade, ce sera le retour à la case départ. Par ailleurs, hors de question que tes études en souffrent. De quelque façon que ce soit. Mais ça, Clotilde y veillera. Il faudra qu’on se voie, à ce propos-là, d’ailleurs, elle et moi. Qu’elle sache très précisément ce que j’attends d’elle.

Son portable a sonné.

– Allô, oui ?

Elle a mis le haut-parleur.

– C’est moi ! C’est maman. Je suis chez madame Lotti, là. Pour ce que tu sais. Viens me rejoindre ! Et amène Raphaël, si tu veux.

– J’arrive !

– Allez, toi, en route !

Elles se sont, toutes les trois, madame Dubreuil, madame Lotti et Amélie, réfugiées dans la cuisine dont elles ont refermé la porte.

– On a à parler.

Et je suis resté en la seule compagnie des deux filles de la maison, deux jumelles, Hortense et Gwenaëlle, qui m’ont tout d’abord superbement ignoré. Qui ont chuchoté et pouffé entre elles en me jetant de nombreux coups d’œil à la dérobée.

– J’ai une tête de clown ?

– C’est pas ça, non…

Elles ont ri de plus belle.

– C’est qu’elle nous a raconté, notre mère.

– Oui. Que tu t’en prends souvent des fessées. Et déculotté. C’est vrai ?

Je me suis efforcé de demeurer impassible. Nier, n’importe comment, n’aurait eu aucun sens. Elles ne m’auraient pas cru. Le mal était fait. Alors j’ai reconnu. Et minimisé.

– Oh, c’est pas si souvent…

– C’est pas ce qu’elle nous a dit.

– En tout cas, t’en as eu une il y a pas longtemps, ce qu’il y a de sûr.

– Même qu’elle a vu tes fesses, notre mère.

– Et qu’elles étaient toutes cinglées. Et bien rouges. T’as quel âge ?

– Vingt-trois.

– Comme notre frère.

– Nous, c’est dix-neuf. Mais on n’en a jamais. Lui, non plus. Sauf que peut-être bien que ça va pas durer. Parce que comment elle est remontée contre lui, notre mère.

– Oui, parce qu’il a fait une grosse bêtise. Encore plus grosse que d’habitude. C’est de ça qu’elles discutent à côté. Il est allé, avec des copains, embêter une vieille la nuit. À cause qu’elle leur avait balancé une réflexion qui leur a pas plu. Et que je te tape sur ses volets. Et que je te lui hurle sous sa fenêtre. Et que je te fais tout un raffut pour l’empêcher de dormir. Toutes les nuits comme ça. Seulement les voisins, à force, ils ont fini par râler. Ils veulent porter plainte. Surtout qu’elle est gravement malade, la femme. Alors ça pourrait vraiment tourner très mal, cette histoire. Et elle en a marre, notre mère, mais marre ! « C’est connerie sur connerie, votre frère. Une bonne fessée cul nu, il lui faudrait, tiens ! »

– Comme toi ! C’est pour ça qu’elle est venue d’ailleurs, ta mère. Pour conseiller la nôtre. Comme elle t’en donne sans arrêt, elle a l’habitude de comment ça se passe.

– En tout cas, moi, s’il en reçoit une, je le plaindrai sûrement pas…

– Ah, ça, non alors ! Moi non plus. Vu comment il est imbuvable avec nous !

– C’est une véritable plaie, un frère comme ça.

Elles ont voulu savoir.

– Ça fait très mal ?

– Ça dépend, mais encore assez, oui !

– Tu cries ?

Gwenaëlle a répondu à ma place.

– Il te le dira pas, mais tu penses bien que oui. Il doit brailler tout ce qu’il sait.

Amélie a passé la tête.

– Vous pouvez venir. Il arrive.

Il s’est arrêté, stupéfait, sur le pas de la porte. Un type pas très grand, râblé, à l’abondante tignasse bouclée.

– Oh, mais c’est qu’on a déclenché le plan Orsec.

C’est madame Dubreuil qui a pris la parole.

– Bon, alors on ne va pas y aller par quatre chemins, mon garçon. C’est très grave ce que tu as fait. Et on a décidé, ta mère et moi, que ça méritait une bonne fessée. Qu’elle va te donner sur-le-champ.

Il a eu un sourire narquois.

– Ah, ouais ?

– Ou bien tu acceptes docilement de te déculotter pour offrir ton derrière à une bonne claquée et ça reste entre nous. Personne n’en saura rien. Ou bien ta mère, Amélie, Raphaël et moi-même, nous irons raconter à qui veut l’entendre que tu t’en es pris une sévère. Et on ne sera pas avares de détails.

Une des jumelles s’est écriée.

– Nous aussi, on le dira. Nous aussi ! À toutes les filles qu’on connaît.

Il leur a lancé un regard noir. Et s’est tournée vers madame Dubreuil.

– Si je comprends bien, j’ai pas le choix.

– Si, justement ! Tu l’as.

Il l’a fixée droit dans les yeux. D’un air de défi. Et il a déboutonné son pantalon. Il l’a descendu. Le slip aussi. Et il est resté là, tout nu, la queue et les boules disparaissant presque totalement dans une épaisse forêt de poils noirs.

– Ça vous va comme ça ? Vous êtes contente ? Eh bien, allez-y !

Sa mère s’est saisie d’une petite planche à découper en bois, munie d’un manche, et elle lui en a asséné un grand coup par derrière.

Sous l’effet de la surprise, il a fait un bond en avant et poussé un hurlement.

– Eh, mais c’est que ça fait mal, ce truc-là !

– C’est le but !

Elle ne lui a pas laissé le temps de reprendre ses esprits. Elle l’a projeté, d’une grande bourrade dans le dos, contre la porte du frigo à laquelle il s’est désespérément accroché, des deux mains, tandis qu’elle lui martelait les fesses avec la planche appliquée bien à plat, à plein derrière, régulièrement, sur toute la surface. Il ponctuait chaque coup d’un hurlement à fendre l’âme.

– C’est ça, braille ! Braille ! Tu brailleras moins sous les fenêtres des gens la nuit.

Derrière lui, à mes côtés, les jumelles arboraient un sourire ravi. Et commentaient à mi-voix.

– Il l’a pas volé.

– Sans compter tout le reste.

– Comment il devient rouge, son cul !

– Et comment il sautille ! Regarde ! Regarde !

– Il est trop marrant.

Et elles ont ri ouvertement. De bon cœur. En le singeant. En dansant d’un pied sur l’autre.

Les coups se sont faits plus appuyés, plus rapides. Et se sont brusquement arrêtées.

– Là ! Ce sera tout. Pour aujourd’hui. Regarde-moi !

Il s’est retourné, lui a fait face, tête basse.

– J’ai été, jusqu’à présent, beaucoup trop indulgente avec toi. C’est terminé. Attends-toi désormais à être copieusement corrigé chaque fois que j’estimerai que tu l’as mérité. Est-ce clair ?

– Oui.

– Oui, qui ?

– Oui, maman.

– Très bien. File !

Pour les distraits qui auraient loupé ce qui s'est passé précédemment

Tout a commencé comme ça : chapitre 1

Et la semaine dernière, le chapitre 11
Et tous les autres chapitres sur la page "les auteurs invités"

Et la suite ?

C'est le chapitre 13.

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François Fabien doit-il continuer dans cette direction ? Doit-il écrire un prochain épisode ?