jeudi 16 janvier 2020

Le journal d'Olga - chapitre 3

Et évidemment ça n’a pas loupé : à Sainte-Croix, dans la cour, il y en avait plein des élèves qui avaient apporté le journal, vu qu’Ekaterina et sa copine Lyana s’y trouvaient en première page, à genoux, menottées dans le dos et complètement à poil. On ne distinguait pas leurs visages, non, mais bon, tout le monde savait que c’était elles : le récit de leur folle équipée s’était répandu, en un rien de temps, comme une traînée de poudre.
Du coup, ça discutait, par petits groupes, dans tous les coins. Ça commentait. Ça s’esclaffait.
Nous, Iourievna et moi, comme on était les sœurs d’Ekaterina, on était sans arrêt sollicitées. Par les filles comme par les garçons.
« Mais alors il s’est passé quoi au juste ?
Et on répétait. Inlassablement.
Il s’était passé… Il s’était passé qu’elles étaient allées, à vélo, se baigner dans un coin désert, qu’on leur avait piqué leurs maillots, et que, prises de panique, elles avaient décidé de rentrer comme ça en se disant qu’avec un peu de chance, elles ne rencontreraient personne. Seulement quelqu’un avait prévenu les gendarmes. Qui leur étaient tombés dessus. Et puis voilà !
Ils commentaient.
‒ À l’heure où c’était n’importe comment, ça pouvait pas être autrement.
Se penchaient encore et encore sur le journal. Le scrutaient.
‒ Dommage qu’on voie pas leurs têtes !
‒ Oh, oui alors ! Parce que comment elles devaient avoir honte !
Ils, et surtout elles, voulaient toujours plus de détails. Qu’on était bien incapables de leur donner. On haussait les épaules.
‒ On n’y était pas, nous, hein ! »

Une qui n’y était pas non plus et qui le regrettait haut et fort, c’était Mylène.
« Quand je pense que j’ai loupé ça ! Comme une imbécile ! Parce que j’ai bien entendu que ça criait dans la rue, qu’il devait sûrement se passer quelque chose, mais vous croyez que je serais allée voir ? Non. Et tout ça pour pas arrêter ma partie : j’allais battre mon meilleur score. Quelle idiote ! Non, mais quelle idiote !
Une fille l’a tirée par la manche, lui a chuchoté quelque chose à l’oreille.
‒ Hein ? Où ? Qui ça ?
Elle lui a indiqué, du doigt, un groupe de trois ou quatre garçons vers lequel elle s’est aussitôt précipitée.
Quand elle est revenue, quelques instants plus tard, elle était aux anges.
‒ Il y a un mec, là-bas, il y était rue Saint-Dominique quand elles l’ont remontée. Il a sauté sur l’occasion, vous pensez bien ! Et il a fait un petit bout de vidéo. Il me l’envoie. Ah, ça y est ! La v’là ! Ah, oui ! Ah, oui ! Elle est super nette en plus.
Elle s’est extasiée.
‒ Comment elle est bien fichue, votre sœur, n’empêche ! L’autre, Lyana, là, elle est pas mal, oui ! Mais alors votre sœur !
Avec un petit claquement de langue satisfait.
Et il s’est mis à s’en échanger. De tous les côtés. Des quantités. Des vidéos. Des photos. Qui avaient été faites un peu partout sur leur parcours. Quand elles pédalaient, comme des forcenées, dans l’idée d’aller se mettre au plus vite à l’abri. Quand des passants s’étaient efforcés de les immobiliser. Quand les gendarmes les avaient arrêtées. Quand…
Ça s’interpellait. De tous les côtés.
‒ Tu l’as, celle de l’avenue Carnot ?
‒ Non. Justement, je la cherche.
‒ File-moi ton numéro. Je te la fais passer.
Mylène engrangeait. Tant qu’elle pouvait. Courait d’un groupe à l’autre. Interrogeait à droite, interrogeait à gauche. Se multipliait. Et a fini par proclamer, satisfaite.
‒ Là ! Là ! Je crois que cette fois, je les ai toutes. »

Margaux, elle, ce qui l’intéressait, c’était ce qu’il s’était passé après. À la gendarmerie. Et le lendemain…
« Parce qu’à ce qu’il paraît que le juge, il avait décidé de les faire corriger. Cul nu. Non ? Eh ben alors, racontez, quoi !
On a soupiré.
‒ Qu’est-ce tu veux qu’on te dise ? Là non plus, on y était pas.
Oui, mais Alicia, elle, si !
‒ Enfin non, pas moi, mais ma sœur Emmanuelle. Qu’est gendarme.
‒ Et alors ?
‒ Ben alors, ils les ont laissées toute la nuit à poil dans une cellule « Vu qu’apparemment vous aimez ça ! », ils leur ont dit en ricanant. Et le lendemain, le juge, il a décidé qu’elles recevraient quarante coups de palette à fessées chacune pour avoir fait du naturisme sauvage et pris la fuite devant les forces de l’ordre. Dans la cour de la prison, ça a eu lieu. Devant juste le juge, le commandant de gendarmerie et trois femmes gendarmes. Dont ma sœur. Même que c’est elle qui les a fouettées.
Margaux buvait littéralement ses paroles, les yeux brillants.
‒ Et après ? Et après ?
‒ Oh, ben elles s’en sont pris une bonne, penchées en avant, avec tout le monde aux fenêtres des bureaux, à se rincer l’œil. Surtout les mecs, évidemment. Qu’en perdaient pas une miette. Et qu’ont été servis. Il y a eu du spectacle. Parce qu’on leur voyait tout ce qu’on voulait, oui, bien sûr, mais aussi parce que comment elles gigotaient du croupion ! Et elles braillaient, mais elles braillaient ! De vrais cochons qu’on égorge. Sans compter qu’à un moment elles se sont carrément pissé sous elles.
‒ Oh, la honte !
‒ Ah, ça, tu peux le dire !
‒ Elle tapait fort, ta sœur ?
‒ Tu penses bien que oui ! Des fois que ça lui vaille une promotion. Et puis, elle le dit pas trop, mais je crois bien qu’elle adore ça en fait.
‒ Il devait y avoir des sacrées marques…
‒ Bien rouges, à ce qu’elle a dit. Et bien incrustées. Qu’elles vont garder un sacré moment !
Margaux s’est faite songeuse.
‒ Comment j’aurais aimé voir ça ! »

En début d’après-midi, comme on avait pas cours, je suis allée rejoindre Léa dans son petit bureau de déléguée de classe. Histoire de discuter un peu.
Ce qu’elle se demandait, elle, c’était qui c’est qu’avait bien pu les leur piquer, leurs maillots.
« Parce qu’ils ont pas disparu tout seuls…
Moi aussi, je me posais la question.
‒ Et j’avoue, je vois pas.
Elle, elle avait spontanément pensé à Mylène.
‒ Tout de suite. Dès que j’ai su. Parce qu’obsédée par les nanas, comme elle l’est ! Mais bon, ç’aurait été le cas, elle serait pas restée cloîtrée dans sa chambre. Ça tient pas debout.
‒ Une fille qui lui en veut ?
‒ À elle ou à sa copine, Lyana. Possible, oui.
‒ À moins que… Paul et Arnaud ? Pour se venger de l’autre jour ? Ils sont tellement tordus, ces deux-là !
‒ Ils prendraient de sacrés risques. S’ils étaient découverts… Après ce qui leur est arrivé. Non, ça peut être n’importe qui en fait. Pour n’importe quelle raison.
‒ Et sans doute qu’on saura jamais.
‒ Probable, oui. Bon, mais et toi ? Avec Théo, t’en es où ?
J’ai soupiré.
‒ Je sais pas.
‒ Comment ça, tu sais pas ?
‒ Enfin, si ! Il me plaît bien. C’est souvent que je pense à lui. Presque tout le temps en fait.
‒ Ben alors, il est où le problème ? Parce qu’il flashe sur toi, ça, c’est sûr. Et pas qu’un peu. Non seulement ça se voit, mais en plus j’ai eu des échos.
‒ Oui, mais j’ai la trouille.
‒ Et de quoi donc, mon Dieu ?
‒ Tu vas te moquer de moi.
‒ Dis toujours !
‒ Qu’il me trouve nulle au lit.
Elle a levé les yeux au ciel.
‒ Il y a vraiment des fessées qui se perdent. »

Et justement, à la fin du cours de Maths, il m’a fait signe, Théo.
« Elle veut te voir, ma mère.
‒ Ta mère ! Mais pourquoi ?
‒ J’en sais rien. Elle m’a juste dit ça. « Amène-la, ta copine Olga. Ou Iourievna, sa sœur. L’une des deux. N’importe laquelle. » J’ai eu beau faire, il y a pas eu moyen d’en savoir plus.
Tout au long du trajet jusque chez lui, on s’est perdus en conjectures. On voyait pas. On voyait vraiment pas.
‒ Ah, vous voilà !
Elle a tranquillement fini de replier son linge.
‒ Viens avec moi !
Théo a suivi.
On est entrés dans une chambre. Elle a ouvert un placard, a farfouillé tout en bas, tout au fond. En a extirpé deux maillots de bain.
‒ Tu reconnais ça ?
L’un des deux, oui. C’était celui d’Ekaterina.
J’ai levé sur Théo un regard scandalisé.
‒ Oh, mais c’est pas moi, hein !
Ce que sa mère a aussitôt confirmé.
‒ C’est pas lui, non. C’est Norbert. Oh, mais il perd rien pour attendre, celui-là !
Et elle nous a plantés là.
‒ Alors, apparemment, c’était ton frère…
‒ On dirait bien, oui !
Il a levé les yeux au ciel.
‒ Mais finalement, tout bien réfléchi, de lui, ça me surprend pas.
‒ C’est un voyeur ?
‒ Oui. Enfin, non. C’est pas vraiment ça. Même si… un peu quand même. Non, son truc, c’est de déclencher quelque chose sans que personne puisse soupçonner que c’est lui. Là, ça a été ta sœur, mais ça aurait pu être n’importe quoi d’autre. Du moment que ça fait des vagues… Là, je suis sûr qu’il est en train d’écumer tous les cafés du pays pour se repaître de ce qui se dit à droite et à gauche. Et qu’il y prend un pied pas possible. Mais ça va lui faire drôle tout à l’heure quand il va rentrer…
‒ Parce que ?
‒ Parce qu’il va se prendre une de ces fessées !
‒ Une fessée !
‒ Au martinet, probable. Parce que ça, c’est sûr que ma mère, elle va sûrement pas laisser passer un truc pareil. Alors là !
‒ Mais…
‒ Mais quoi ?
‒ Il a quel âge ?
‒ Vingt-six. Mais c’est pas un problème, ça ! Quand ma mère, elle estime qu’il a mérité, il y attrape. Point barre. Et il a pas intérêt à essayer d’esquiver. S’il veut pas prendre dix fois plus cher… Et comme il est pas bien courageux, il fait systématiquement profil bas. Oh, mais tu vas pouvoir juger par toi-même. Il devrait pas tarder à rentrer.
‒ Ta mère…
‒ Ne verra aucun inconvénient à ce que tu y assistes. Elle sait comment ça se passe à Sainte-Croix. Que t’as l’habitude. »

Il est rentré en sifflotant.
« Ça va, tout le monde ?
C’était un type pas très grand, un peu enveloppé, pas trop mal de sa personne. Je l’avais entraperçu trois ou quatre fois en boîte sans avoir jamais eu pour autant l’occasion de lui adresser la parole.
Sa mère lui a brandi les maillots de bain sous le nez.
‒ Tu peux m’expliquer ?
Il s’est littéralement décomposé.
‒ Non. Enfin, si ! Oui. C’est un copain. Qui m’a demandé de les garder. Je dois lui rendre. Demain.
‒ Ah… Et c’est qui ce copain ?
‒ Tu connais pas.
‒ Il a bien un nom ? Et un numéro de téléphone. Alors ? J’attends.
‒ Je sais plus.
‒ Tu te fous de moi ?
‒ Non. Je t’assure, je sais pas.
‒ Tu ferais beaucoup mieux d’avouer.
‒ Mais non ! C’est pas moi, non !
‒ Vingt coups.
‒ Je te jure…
‒ Trente coups.
‒ C’est moi, oui ! Mais c’est parce que…
‒ Je me fous complètement de tes explications. Tu n’as pas d’excuse. Allez, tu te déculottes.
Il a jeté un coup d’œil anxieux dans ma direction.
‒ Quoi ? Qu’est-ce qu’il y a ? Olga ? Elle va pas en perdre la vue, Olga. Et comme ça elle pourra  raconter à sa sœur que son voleur a été puni. Et comment. Bon, tu te dépêches ? Ou le compteur va grimper à quarante.
L’argument s’est avéré décisif. Comment il s’est empressé de le baisser son pantalon ! Et le boxer avec. En me tournant soigneusement le dos.
‒ Mains sur la tête !
Il a obéi.
Et sa mère a cinglé. Un grand coup, à pleines fesses, qui lui a fait creuser les reins. Et pousser un cri déchirant. Cinq ou six autres. Appuyés. Très rapprochés. Sous l’effet de la douleur, il a esquissé deux ou trois pas de danse, en hurlant, dans la direction de la porte.
‒ C’est par ici que ça se passe ! Reviens ! Allez ! T’entends ce que je te dis, Norbert ? Reviens ! Fais attention ! Fais bien attention !
Il s’est retourné. Et il est venu vers nous, les mains toujours sur la tête, les yeux baissés. Sa queue était dressée, toute droite, légèrement décapuchonnée.
Sa mère est passée derrière lui et a recommencé à cingler. Chaque coup lui arrachait une grimace de douleur accompagnée d’un sourd grondement de fond de gorge et d’un sursaut du bassin vers l’avant qui lui faisait osciller la queue.
Il m’a lancé un bref regard tout rempli de honte. A très vite détourné les yeux.
Sa mère tapait. Elle tapait sans discontinuer. De plus en plus fort. De plus en plus vite.
Il a crié. À pleins poumons. Sans la moindre retenue. Sans la moindre vergogne. Avec de petits sauts grotesques d’une jambe sur l’autre. Et sa queue qui s’agitait en rythme. De façon parfaitement ridicule.
Il m’a échappé un petit rire moqueur.
Théo ne me quittait pas des yeux.
Ça tombait. Ça tombait toujours. Et il s’est mis à pleurer, d’un coup, à chaudes larmes.
‒ Trente. Le compte est bon. En espérant que ça te serve de leçon.
Il a voulu prendre la fuite.
Elle l’a retenue.
‒ Pas si vite ! Viens voir, Olga !
Je me suis approchée.
‒ Que tu puisses dire à ta sœur comme il a été bien puni. Vas-y ! Regarde ! Penche-toi !
Sur ses fesses striées sur toute leur surface de longues balafres rougeâtres où un peu de sang avait perlé par endroits et qui, à d’autres, commençaient déjà à se boursoufler.
Elle m’a laissé prendre tout mon temps, a attendu que je me sois relevée.
‒ Oublie pas les maillots en partant. »
Et elle a emmené Norbert. Par le bras.

On s’est regardés un long moment en silence, Théo et moi.
Et puis il a constaté.
« Comment ils brillent tes yeux !
‒ Et les tiens donc !
‒ Oui, mais moi, c’est de voir comment tu as aimé le regarder punir, mon frère.
Je lui ai souri. Je n’ai pas pu m’empêcher. Je lui ai souri et j’ai rougi.
‒ Tu as aimé, hein !
Prétendre le contraire ? Alors que tout en moi le hurlait ? Alors que c’était marée haute entre mes cuisses ?
Mon silence était un aveu.
Il s’est penché sur moi. Nos lèvres se sont effleurées. Se sont jointes.



Et Iourievna ? On la connait

Je crois, Elena nous l'a longuement présentée mais si vous êtes passés à côté,  voici le premier épisode de la série : le chapitre 1

Il y a un début à cette série

Le chapitre 1
et l'épisode précedent : chapitre 2
Mais si vous voulez lire ce récit d'un autre point de vue : les rebelles chapitre 3

Et la suite ?


N'hésitez pas pour les commentaires

Tout le monde les attend : que pensez-vous de cette série croisant l'imaginaire d'Elena et celui de François.

3 commentaires:

  1. Bonjour François,

    C'est une très bonne suite à mon récit. On y découvre en premier, une vue sous un autre angle et de plus, on découvre un épilogue au récit. J'adore.
    Amitiés.
    Elena

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  2. Bonjour Elena. Et bonjour à tous.
    Pour moi, reprendre vos récits, c'est aussi les découvrir d'un autre oeil. C'est y déceler toutes sortes de richesses que je n'y avais pas vues au premier abord. Une chose est sûre en tout cas: je prends beaucoup de plaisir à marcher sur vos traces.
    Amicalement.
    François

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  3. Bonjour François,
    Un grand merci pour ces compliments qui me touchent vraiment.
    Amitiés.
    Elena.

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