Du coup, ça
discutait, par petits groupes, dans tous les coins. Ça commentait. Ça
s’esclaffait.
« Mais alors
il s’est passé quoi au juste ?
Et on répétait.
Inlassablement.
Il s’était passé…
Il s’était passé qu’elles étaient allées, à vélo, se baigner dans un coin
désert, qu’on leur avait piqué leurs maillots, et que, prises de panique, elles
avaient décidé de rentrer comme ça en se disant qu’avec un peu de chance, elles
ne rencontreraient personne. Seulement quelqu’un avait prévenu les gendarmes.
Qui leur étaient tombés dessus. Et puis voilà !
Ils commentaient.
‒ À l’heure où
c’était n’importe comment, ça pouvait pas être autrement.
Se penchaient
encore et encore sur le journal. Le scrutaient.
‒ Dommage
qu’on voie pas leurs têtes !
‒ Oh, oui
alors ! Parce que comment elles devaient avoir honte !
Ils, et surtout
elles, voulaient toujours plus de détails. Qu’on était bien incapables de leur
donner. On haussait les épaules.
‒ On n’y était
pas, nous, hein ! »
Une qui n’y était
pas non plus et qui le regrettait haut et fort, c’était Mylène.
« Quand je
pense que j’ai loupé ça ! Comme une imbécile ! Parce que j’ai bien
entendu que ça criait dans la rue, qu’il devait sûrement se passer quelque
chose, mais vous croyez que je serais allée voir ? Non. Et tout ça pour
pas arrêter ma partie : j’allais battre mon meilleur score. Quelle
idiote ! Non, mais quelle idiote !
Une fille l’a tirée
par la manche, lui a chuchoté quelque chose à l’oreille.
‒ Hein ?
Où ? Qui ça ?
Elle lui a indiqué,
du doigt, un groupe de trois ou quatre garçons vers lequel elle s’est aussitôt
précipitée.
Quand elle est
revenue, quelques instants plus tard, elle était aux anges.
‒ Il y a un
mec, là-bas, il y était rue Saint-Dominique quand elles l’ont remontée. Il a
sauté sur l’occasion, vous pensez bien ! Et il a fait un petit bout de
vidéo. Il me l’envoie. Ah, ça y est ! La v’là ! Ah, oui ! Ah,
oui ! Elle est super nette en plus.
Elle s’est
extasiée.
‒ Comment elle
est bien fichue, votre sœur, n’empêche ! L’autre, Lyana, là, elle est pas
mal, oui ! Mais alors votre sœur !
Avec un petit
claquement de langue satisfait.
Et il s’est mis à
s’en échanger. De tous les côtés. Des quantités. Des vidéos. Des photos. Qui
avaient été faites un peu partout sur leur parcours. Quand elles pédalaient,
comme des forcenées, dans l’idée d’aller se mettre au plus vite à l’abri. Quand
des passants s’étaient efforcés de les immobiliser. Quand les gendarmes les
avaient arrêtées. Quand…
Ça s’interpellait.
De tous les côtés.
‒ Tu l’as,
celle de l’avenue Carnot ?
‒ Non.
Justement, je la cherche.
‒ File-moi ton
numéro. Je te la fais passer.
Mylène engrangeait.
Tant qu’elle pouvait. Courait d’un groupe à l’autre. Interrogeait à droite,
interrogeait à gauche. Se multipliait. Et a fini par proclamer, satisfaite.
‒ Là !
Là ! Je crois que cette fois, je les ai toutes. »
Margaux, elle, ce
qui l’intéressait, c’était ce qu’il s’était passé après. À la gendarmerie. Et
le lendemain…
« Parce qu’à
ce qu’il paraît que le juge, il avait décidé de les faire corriger. Cul nu.
Non ? Eh ben alors, racontez, quoi !
On a soupiré.
‒ Qu’est-ce tu
veux qu’on te dise ? Là non plus, on y était pas.
Oui, mais Alicia,
elle, si !
‒ Enfin non,
pas moi, mais ma sœur Emmanuelle. Qu’est gendarme.
‒ Et
alors ?
‒ Ben alors,
ils les ont laissées toute la nuit à poil dans une cellule « Vu
qu’apparemment vous aimez ça ! », ils leur ont dit en ricanant. Et le
lendemain, le juge, il a décidé qu’elles recevraient quarante coups de palette
à fessées chacune pour avoir fait du naturisme sauvage et pris la fuite devant
les forces de l’ordre. Dans la cour de la prison, ça a eu lieu. Devant juste le
juge, le commandant de gendarmerie et trois femmes gendarmes. Dont ma sœur.
Même que c’est elle qui les a fouettées.
Margaux buvait
littéralement ses paroles, les yeux brillants.
‒ Et
après ? Et après ?
‒ Oh, ben
elles s’en sont pris une bonne, penchées en avant, avec tout le monde aux
fenêtres des bureaux, à se rincer l’œil. Surtout les mecs, évidemment. Qu’en
perdaient pas une miette. Et qu’ont été servis. Il y a eu du spectacle. Parce
qu’on leur voyait tout ce qu’on voulait, oui, bien sûr, mais aussi parce que
comment elles gigotaient du croupion ! Et elles braillaient, mais elles
braillaient ! De vrais cochons qu’on égorge. Sans compter qu’à un moment
elles se sont carrément pissé sous elles.
‒ Oh, la
honte !
‒ Ah, ça, tu
peux le dire !
‒ Elle tapait
fort, ta sœur ?
‒ Tu penses
bien que oui ! Des fois que ça lui vaille une promotion. Et puis, elle le
dit pas trop, mais je crois bien qu’elle adore ça en fait.
‒ Il devait y
avoir des sacrées marques…
‒ Bien rouges,
à ce qu’elle a dit. Et bien incrustées. Qu’elles vont garder un sacré
moment !
Margaux s’est faite
songeuse.
‒ Comment
j’aurais aimé voir ça ! »
En début
d’après-midi, comme on avait pas cours, je suis allée rejoindre Léa dans son
petit bureau de déléguée de classe. Histoire de discuter un peu.
Ce qu’elle se
demandait, elle, c’était qui c’est qu’avait bien pu les leur piquer, leurs
maillots.
« Parce qu’ils
ont pas disparu tout seuls…
Moi aussi, je me
posais la question.
‒ Et j’avoue,
je vois pas.
Elle, elle avait
spontanément pensé à Mylène.
‒ Tout de
suite. Dès que j’ai su. Parce qu’obsédée par les nanas, comme elle l’est !
Mais bon, ç’aurait été le cas, elle serait pas restée cloîtrée dans sa chambre.
Ça tient pas debout.
‒ Une fille
qui lui en veut ?
‒ À elle ou à
sa copine, Lyana. Possible, oui.
‒ À moins que…
Paul et Arnaud ? Pour se venger de l’autre jour ? Ils sont tellement
tordus, ces deux-là !
‒ Ils
prendraient de sacrés risques. S’ils étaient découverts… Après ce qui leur est
arrivé. Non, ça peut être n’importe qui en fait. Pour n’importe quelle raison.
‒ Et sans
doute qu’on saura jamais.
‒ Probable,
oui. Bon, mais et toi ? Avec Théo, t’en es où ?
J’ai soupiré.
‒ Je sais pas.
‒ Comment ça,
tu sais pas ?
‒ Enfin,
si ! Il me plaît bien. C’est souvent que je pense à lui. Presque tout le
temps en fait.
‒ Ben alors,
il est où le problème ? Parce qu’il flashe sur toi, ça, c’est sûr. Et pas
qu’un peu. Non seulement ça se voit, mais en plus j’ai eu des échos.
‒ Oui, mais
j’ai la trouille.
‒ Et de quoi
donc, mon Dieu ?
‒ Tu vas te
moquer de moi.
‒ Dis
toujours !
‒ Qu’il me
trouve nulle au lit.
Elle a levé les
yeux au ciel.
‒ Il y a
vraiment des fessées qui se perdent. »
Et justement, à la
fin du cours de Maths, il m’a fait signe, Théo.
« Elle veut te
voir, ma mère.
‒ Ta
mère ! Mais pourquoi ?
‒ J’en sais
rien. Elle m’a juste dit ça. « Amène-la, ta copine Olga. Ou Iourievna, sa
sœur. L’une des deux. N’importe laquelle. » J’ai eu beau faire, il y a pas
eu moyen d’en savoir plus.
Tout au long du
trajet jusque chez lui, on s’est perdus en conjectures. On voyait pas. On
voyait vraiment pas.
‒ Ah, vous
voilà !
Elle a
tranquillement fini de replier son linge.
‒ Viens avec
moi !
Théo a suivi.
On est entrés dans
une chambre. Elle a ouvert un placard, a farfouillé tout en bas, tout au fond.
En a extirpé deux maillots de bain.
‒ Tu reconnais
ça ?
L’un des deux, oui.
C’était celui d’Ekaterina.
J’ai levé sur Théo
un regard scandalisé.
‒ Oh, mais
c’est pas moi, hein !
Ce que sa mère a
aussitôt confirmé.
‒ C’est pas
lui, non. C’est Norbert. Oh, mais il perd rien pour attendre, celui-là !
Et elle nous a
plantés là.
‒ Alors,
apparemment, c’était ton frère…
‒ On dirait
bien, oui !
Il a levé les yeux
au ciel.
‒ Mais
finalement, tout bien réfléchi, de lui, ça me surprend pas.
‒ C’est un
voyeur ?
‒ Oui. Enfin,
non. C’est pas vraiment ça. Même si… un peu quand même. Non, son truc, c’est de
déclencher quelque chose sans que personne puisse soupçonner que c’est lui. Là,
ça a été ta sœur, mais ça aurait pu être n’importe quoi d’autre. Du moment que
ça fait des vagues… Là, je suis sûr qu’il est en train d’écumer tous les cafés
du pays pour se repaître de ce qui se dit à droite et à gauche. Et qu’il y
prend un pied pas possible. Mais ça va lui faire drôle tout à l’heure quand il
va rentrer…
‒ Parce
que ?
‒ Parce qu’il
va se prendre une de ces fessées !
‒ Une
fessée !
‒ Au martinet,
probable. Parce que ça, c’est sûr que ma mère, elle va sûrement pas laisser
passer un truc pareil. Alors là !
‒ Mais…
‒ Mais
quoi ?
‒ Il a quel
âge ?
‒ Vingt-six.
Mais c’est pas un problème, ça ! Quand ma mère, elle estime qu’il a
mérité, il y attrape. Point barre. Et il a pas intérêt à essayer d’esquiver.
S’il veut pas prendre dix fois plus cher… Et comme il est pas bien courageux,
il fait systématiquement profil bas. Oh, mais tu vas pouvoir juger par
toi-même. Il devrait pas tarder à rentrer.
‒ Ta mère…
‒ Ne verra
aucun inconvénient à ce que tu y assistes. Elle sait comment ça se passe à
Sainte-Croix. Que t’as l’habitude. »
Il est rentré en
sifflotant.
« Ça va, tout
le monde ?
C’était un type pas
très grand, un peu enveloppé, pas trop mal de sa personne. Je l’avais
entraperçu trois ou quatre fois en boîte sans avoir jamais eu pour autant
l’occasion de lui adresser la parole.
Sa mère lui a
brandi les maillots de bain sous le nez.
‒ Tu peux
m’expliquer ?
Il s’est
littéralement décomposé.
‒ Non. Enfin,
si ! Oui. C’est un copain. Qui m’a demandé de les garder. Je dois lui
rendre. Demain.
‒ Ah… Et c’est
qui ce copain ?
‒ Tu connais
pas.
‒ Il a bien un
nom ? Et un numéro de téléphone. Alors ? J’attends.
‒ Je sais
plus.
‒ Tu te fous
de moi ?
‒ Non. Je
t’assure, je sais pas.
‒ Tu ferais
beaucoup mieux d’avouer.
‒ Mais
non ! C’est pas moi, non !
‒ Vingt coups.
‒ Je te jure…
‒ Trente
coups.
‒ C’est moi,
oui ! Mais c’est parce que…
‒ Je me fous
complètement de tes explications. Tu n’as pas d’excuse. Allez, tu te
déculottes.
Il a jeté un coup
d’œil anxieux dans ma direction.
‒ Quoi ?
Qu’est-ce qu’il y a ? Olga ? Elle va pas en perdre la vue, Olga. Et
comme ça elle pourra raconter à sa sœur
que son voleur a été puni. Et comment. Bon, tu te dépêches ? Ou le
compteur va grimper à quarante.
L’argument s’est
avéré décisif. Comment il s’est empressé de le baisser son pantalon ! Et
le boxer avec. En me tournant soigneusement le dos.
‒ Mains sur la
tête !
Il a obéi.
Et sa mère a
cinglé. Un grand coup, à pleines fesses, qui lui a fait creuser les reins. Et
pousser un cri déchirant. Cinq ou six autres. Appuyés. Très rapprochés. Sous
l’effet de la douleur, il a esquissé deux ou trois pas de danse, en hurlant,
dans la direction de la porte.
‒ C’est par
ici que ça se passe ! Reviens ! Allez ! T’entends ce que je te
dis, Norbert ? Reviens ! Fais attention ! Fais bien
attention !
Il s’est retourné.
Et il est venu vers nous, les mains toujours sur la tête, les yeux baissés. Sa
queue était dressée, toute droite, légèrement décapuchonnée.
Sa mère est passée
derrière lui et a recommencé à cingler. Chaque coup lui arrachait une grimace
de douleur accompagnée d’un sourd grondement de fond de gorge et d’un sursaut
du bassin vers l’avant qui lui faisait osciller la queue.
Il m’a lancé un
bref regard tout rempli de honte. A très vite détourné les yeux.
Sa mère tapait.
Elle tapait sans discontinuer. De plus en plus fort. De plus en plus vite.
Il a crié. À pleins
poumons. Sans la moindre retenue. Sans la moindre vergogne. Avec de petits
sauts grotesques d’une jambe sur l’autre. Et sa queue qui s’agitait en rythme.
De façon parfaitement ridicule.
Il m’a échappé un
petit rire moqueur.
Théo ne me quittait
pas des yeux.
Ça tombait. Ça
tombait toujours. Et il s’est mis à pleurer, d’un coup, à chaudes larmes.
‒ Trente. Le
compte est bon. En espérant que ça te serve de leçon.
Il a voulu prendre
la fuite.
Elle l’a retenue.
‒ Pas si
vite ! Viens voir, Olga !
Je me suis
approchée.
‒ Que tu
puisses dire à ta sœur comme il a été bien puni. Vas-y ! Regarde !
Penche-toi !
Sur ses fesses
striées sur toute leur surface de longues balafres rougeâtres où un peu de sang
avait perlé par endroits et qui, à d’autres, commençaient déjà à se
boursoufler.
Elle m’a laissé
prendre tout mon temps, a attendu que je me sois relevée.
‒ Oublie pas
les maillots en partant. »
Et elle a emmené
Norbert. Par le bras.
On s’est regardés
un long moment en silence, Théo et moi.
Et puis il a
constaté.
« Comment ils
brillent tes yeux !
‒ Et les tiens
donc !
‒ Oui, mais
moi, c’est de voir comment tu as aimé le regarder punir, mon frère.
Je lui ai souri. Je
n’ai pas pu m’empêcher. Je lui ai souri et j’ai rougi.
‒ Tu as aimé,
hein !
Prétendre le
contraire ? Alors que tout en moi le hurlait ? Alors que c’était
marée haute entre mes cuisses ?
Mon silence était
un aveu.
Il s’est penché sur
moi. Nos lèvres se sont effleurées. Se sont jointes.
Et Iourievna ? On la connait
Je crois, Elena nous l'a longuement présentée mais si vous êtes passés à côté, voici le premier épisode de la série : le chapitre 1
Il y a un début à cette série
Mais si vous voulez lire ce récit d'un autre point de vue : les rebelles chapitre 3
Et la suite ?
N'hésitez pas pour les commentaires
Tout le monde les attend : que pensez-vous de cette série croisant l'imaginaire d'Elena et celui de François.
Bonjour François,
RépondreSupprimerC'est une très bonne suite à mon récit. On y découvre en premier, une vue sous un autre angle et de plus, on découvre un épilogue au récit. J'adore.
Amitiés.
Elena
Bonjour Elena. Et bonjour à tous.
RépondreSupprimerPour moi, reprendre vos récits, c'est aussi les découvrir d'un autre oeil. C'est y déceler toutes sortes de richesses que je n'y avais pas vues au premier abord. Une chose est sûre en tout cas: je prends beaucoup de plaisir à marcher sur vos traces.
Amicalement.
François
Bonjour François,
RépondreSupprimerUn grand merci pour ces compliments qui me touchent vraiment.
Amitiés.
Elena.