Je lui ai déposé un
baiser au coin des lèvres.
« On se
connaît pas tant que ça, toi et moi, finalement !
‒ Pas bien,
non. Mais ça peut facilement s’arranger.
Je me suis serrée
un peu plus fort contre lui.
‒ Parle-moi de
toi ! Dis-moi des trucs.
‒ Quoi, comme
trucs ?
‒ Je sais pas,
moi ! Par exemple, pourquoi t’es à Sainte-Croix ?
‒ Oh, ça…
Il s’est soulevé
sur un coude.
‒ Ça, c’est
tout bête. Pas original pour deux sous. Comme tu le sais, j’ai vingt ans. Et
deux ans de retard. Ce qui est de ma faute. Entièrement de ma faute. Parce que
j’ai une nature à me disperser dans tous les sens. Une fois une chose, une fois
une autre. J’ai une multitude de centres d’intérêt en fait. Qui m’accaparent
complètement. Et une fâcheuse tendance, du coup, à faire passer mes études au
second plan.
‒ Comme ma
sœur. Comme Iourievna. Exactement pareil.
‒ Seulement,
pour être vétérinaire…
‒ Ah, parce
que tu veux être vétérinaire ? C’est chouette. Par contre…
‒ Il faut
bosser, oui. Et, au long cours, si on ne m’y contraint pas, j’en suis
totalement incapable. Mes parents ont bien fait ce qu’ils pouvaient. Je me suis
ramassé une quantité de fessées mémorables qui, au bout du compte, n’ont servi
strictement à rien. Sur le coup, oui ! Ça faisait mal, oui, bon, ben
voilà. Deux jours après, c’était complètement oublié. Et je repartais à la
dérive. Exactement comme avant.
‒ Peut-être
qu’ils tapaient pas assez fort ?
‒ Peut-être.
Mais ce qu’il y a surtout, je crois, c’est que ça se passait en petit comité.
Juste mes parents et moi. Et, éventuellement, mon frère Norbert. C’était tout.
Et moi, ce qui m’épouvante dans la perspective d’une fessée, ce qui me
terrorise littéralement, c’est qu’il puisse y avoir des témoins. Ça, à mes
yeux, c’est la honte absolue. Rien qu’à l’idée que c’est quelque chose qui
pourrait m’arriver, je perds complètement pied. Je me liquéfie littéralement
J’ai longuement réfléchi du coup et je suis arrivé à la conclusion que, si je
voulais atteindre l’objectif qui me tient à cœur, je n’avais pas trente-six
solutions. Il fallait que je prenne le taureau par les cornes. J’avais entendu
parler de Sainte-Croix, de la façon dont y était tenu. Dont on vous y
obligeait, tout à la fois, à travailler et à bien se comporter. Et, après avoir
malgré tout pas mal hésité, j’ai décidé, de moi-même, de m’y inscrire. Ce à
quoi tu penses bien que mes parents ne se sont pas opposés. Ils ont au
contraire applaudi à deux mains.
‒ Et, résultat
des courses, maintenant tu te balades tranquille en tête de classe.
‒ Et pour
cause ! Je sais pertinemment ce qui m’attend si mon travail laisse à
désirer. Et si je ne veux pas être honteusement déculotté et fessé, comme un
gamin, devant tout le monde…
‒ Et surtout
devant les filles, je suppose. T’as pu constater par toi-même, comment ça nous
déchaîne, nous, de voir les types gigoter et bramer, quand on les fouette.
‒ Ah,
ça ! On peut pas dire que vous fassiez dans la dentelle.
‒ Oui, mais
c’est aussi une façon de nous venger de tout ce qu’ils nous font subir au
quotidien et de la façon dont ils nous reluquent et salivent quand c’est nous
qu’on y attrape. N’importe comment…
‒ N’importe
comment ?
Je me suis enflammée.
‒ Il faut que
ça fasse honte une fessée, pas seulement mal, mais vraiment honte, intensément
honte, si on veut que ce soit efficace et que ça nous fasse changer.
‒ Tu prêches
un convaincu.
Et ça, ça dépend
énormément de ceux qui assistent à la correction. De la façon dont ils
réagissent et se moquent. Pour le bien de celui ou celle qui ramasse
finalement. Ils le savent bien à la direction, va ! Sinon, pas besoin de
t’en faire qu’ils les feraient pas donner en public, les fouettées. Et de façon
aussi humiliante.
‒ T’en as déjà
reçu, toi ?
‒ Ici, à
Sainte-Croix ? Jamais, non. C’est passé fin une fois, mais j’ai réussi à y
échapper.
‒ Et
ailleurs ?
‒ Ailleurs ?
J’ai marqué un long
temps d’arrêt. Lui raconter ? Dans un sens, ça ne me tentait pas. Pas du tout.
J’avais peur du jugement qu’il allait porter sur moi, mais dans un autre, si je
me mettais déjà à lui cacher des trucs alors que ça commençait tout juste entre
nous…
Et je me suis
lancée.
‒ Ailleurs,
oui.
Il s’est appuyé sur
un coude, a cherché mes yeux.
‒ Je t’écoute…
‒ C’était cet
été. Au mois de juillet. Pour se faire un peu de sous, on était allées,
Iourievna, Mylène, Margaux et moi, aider à la cueillette des fruits, du côté de
Digne. Ça se passait bien, il y avait une bonne ambiance. Et puis l’idée qu’on
allait disposer d’une jolie petite somme pour nous payer, tout au long de
l’année, ce qui nous ferait envie nous motivait tout particulièrement. Question
boulot proprement dit, les consignes étaient strictes. Tout était calculé pour
que les fruits ne soient pas endommagés. Mais nous, voulant gagner du temps, on
a eu la lumineuse idée d’apporter les cagettes jusqu’à la remorque en les
superposant par cinq ou six. Et en se mettant à deux pour les porter. Ce qu’on
nous avait formellement interdit. Ah, effectivement, ça nous a évité des tas
d’allers et retours, ça ! Jusqu’au moment où, patatras, tout un chargement
a chaviré sous les yeux horrifiés de la directrice de l’exploitation. Et de
Mariette, la responsable du groupe. La quasi-totalité des fruits était perdue.
‒ Aïe !
‒ On a eu beau
s’excuser platement, jurer que ça ne se reproduirait plus, elle était remontée
comme une pendule contre nous, la directrice. Et son fils aussi. Sans parler de
Mariette qui, responsable du groupe, en faisait une affaire personnelle. Ils
parlaient de nous virer. Sans salaire. Ah, mais c’est que ça le faisait pas,
ça ! Pas du tout. On a tellement supplié qu’ils ont fini par accepter de
passer l’éponge, mais à une condition, c’est qu’ils nous donnent une bonne
correction, à toutes les quatre, cul nu, devant tous les employés. On a bien
renâclé, discuté, supplié, mais il n’y a rien eu à faire. Ils se sont montrés
intraitables et, au final, après nous être concertées toutes les quatre, on a
décidé d’en passer malgré tout par où ils le voulaient. Pas le choix : on
avait bien trop besoin de cet argent. Et on ne se voyait pas, en plus, devoir
expliquer à nos parents qu’on s’était fait virer comme des malpropres.
Je me suis
interrompue. C’était pas vraiment facile à évoquer tous ces souvenirs. Ça
faisait remonter tellement de choses ! Mais, d’un autre côté, maintenant
que j’avais commencé…
Il s’est penché sur
moi, tout tendre, tout amoureux, m’a caressé la joue.
‒ Continue !
‒ Le moment
fatidique a fini par arriver. Forcément. Et il a fallu qu’on se déculotte, là,
devant tous les saisonniers réunis. On leur avait évidemment tourné le dos,
mais ça a quand même été une sacrée épreuve.
‒ J’imagine…
‒ T’as beau
essayer de faire le vide dans ta tête, dans ce cas-là, chercher à t’absenter de
toi-même, tu peux pas t’empêcher d’être à l’affût. De la moindre réflexion. Du
moindre rire. De la moindre moquerie. Tu tends l’oreille, c’est plus fort que
toi. Et il y en a eu. Des quantités. Plus ça allait et plus il y en avait.
Surtout quand Mariette s’est mise à nous fouetter, l’une après l’autre, avec la
sangle. Ça aussi, c’est horrible. Parce que t’entends que ça claque sur les
fesses de ta voisine. Elle crie, elle gigote et tu sais qu’il ne te reste plus
que quelques secondes avant que ce soit sur toi que ça dégringole, avant que tu
ne te donnes à ton tour en spectacle. Et je peux te dire qu’elle faisait pas
semblant, Mariette ! Non, mais comment elle y allait ! Elle se
vengeait en fait. Parce qu’elle avait pas apprécié, mais alors là pas du tout,
que ce soit dans son groupe qu’il ait eu lieu, cet incident des fruits gâchés.
Alors elle nous faisait payer le prix fort à nous, les coupables. Elle tapait,
mais elle tapait !
Je me suis encore
arrêtée. J’ai fermé les yeux. Les images me revenaient. Les sensations. J’ai
frissonné.
‒ Tu sais,
Théo, quand c’est comme ça, que la douleur devient insupportable, il te faut
absolument un répit, ne fût-ce que de quelques secondes et tant pis pour la
pudeur. Tant pis pour tout. T’en as plus rien à foutre de rien. Et tu te
retournes. Devant tout le monde. En te massant les fesses et en te disant
qu’elle osera pas te cingler devant. Elle l’a pas fait, non, mais elle m’en a
menacée, et avec un air si déterminé, que je me suis empressée de reprendre ma
position initiale. Et elle m’a finie. On peut dire ça comme ça. Elle m’a finie.
Sans tenir aucun compte ni de mes hurlements ni de mes supplications. T’aurais
vu l’état de mon derrière, après ! C’était toute la surface qu’avait
ramassé. Entièrement. Et même le haut des cuisses.
‒ Ma
pauvre !
Il compatissait. Il
compatissait vraiment. Je le voyais dans ses yeux.
‒ Et j’étais
pas encore au bout de mes peines. Parce qu’ils ont voulu qu’on passe
l’après-midi comme ça. Sans se rhabiller. « Que ça vous serve de leçon. Et
que ça serve d’exemple aux autres. » Tu parles qu’ils demandaient pas
mieux, les autres ! Surtout les mecs, évidemment. Vu que pour déposer,
délicatement, les fruits dans les cagettes, on était obligées de se pencher en
avant. Du coup, ils avaient une vue imprenable à la fois sur nos fesses
écarlates et sur nos replis les plus intimes. Ah, pour en profiter, ils en ont
profité, ça ! On en avait toujours trois ou quatre derrière notre dos. Et
ça y allait bon train, les commentaires !
‒ C’est fini
maintenant. C’est du passé. N’y pense plus !
Je lui ai pris la
main.
‒ Ben
si ! Si ! Forcément que j’y pense. Pas tout le temps, non,
heureusement, mais j’y pense. Oh, et puis tu sais maintenant, avec le recul, je
vois les choses un peu différemment. Sur le moment, je leur en ai voulu.
Énormément. Je trouvais que la punition était disproportionnée par rapport à
l’imprudence qu’on avait commise. Mais en fait, non. C’était amplement mérité
ce qui nous est arrivé, finalement. Parce qu’on nous avait prévenues, à maintes
reprises, qu’il ne fallait pas les empiler les cagettes, que c’était trop
risqué, mais on a voulu se montrer plus malignes que tout le monde. Et c’est
ça, en réalité, le vrai motif de la punition qu’on a reçue, c’est d’avoir voulu
n’en faire qu’à notre tête malgré les mises en garde répétées. Et c’est mon
grand défaut à moi, ça. Je n’écoute rien ni personne. Jamais. Oh, bien sûr, en
apparence je suis la gentille petite fille bien sage. Bien ordonnée. Bonne
travailleuse. Mais en réalité par-derrière je n’en fais qu’à ma tête. Alors
quand, de temps à autre, on me prend sur le fait, qu’on me punisse, ça me remet
les pendules à l’heure et, c’est pas forcément facile à admettre ni à avouer,
mais c’est me rendre un sacré service.
Il m’a encore tendrement
embrassée. Et puis il s’est levé.
‒ Je vais nous
chercher quelque chose à boire. Tu veux quoi ? Un coca ?
‒ Va pour un
coca.
Et il a filé, tout
nu, vers la cuisine. Je l’ai suivi des yeux. Quelles adorables petites fesses
il avait ! J’ai souri. Il fallait que je le garde, ce type ! Ah, oui,
alors ! Parce que non seulement il était beau, non seulement il me faisait
grimper aux rideaux, mais, en plus, je pouvais lui dire, à lui, des choses que
je n’avais jamais dites à personne. Tout était simple avec lui. Tout allait
tranquillement de soi. Tout était évident. Seulement… seulement inutile que je
me berce d’illusions. J’allais avoir de la concurrence. Tout un tas de filles
allaient faire des pieds et des mains pour s’efforcer de me le subtiliser. Et, en
tout premier lieu, Iourievna. Ma propre sœur, oui. Aux yeux de laquelle n’était
réellement précieux que ce qui m’appartenait. Dont il lui fallait alors
systématiquement me dessaisir, d’une façon ou d’une autre, pour se
l’approprier. Elle voudrait, ça ne faisait pas l’ombre d’un doute, s’emparer de
Théo comme elle avait voulu jadis s’emparer de mes poupées, de mes copines ou
de mes bandes dessinées. Oh, mais Iourievna, normalement je devais pouvoir
gérer. Je la connaissais par cœur. Et j’avais l’habitude depuis le temps. Je
savais comment désamorcer la mèche. Non, le vrai danger, il venait d’ailleurs.
Des autres. De toutes les autres. De toutes celles qui n’allaient pas manquer
de tomber sous son charme et qui voudraient tenter leur chance en se fichant pas
mal de savoir si j’étais en couple avec lui ou pas.
Il est revenu. On a
siroté tranquillement notre coca.
‒ Tu crois
qu’on sera punis, nous aussi, un jour, à Sainte-Croix ?
Il en savait rien.
Il espérait bien que non. En ce qui le concernait, en tout cas, il allait faire
tout ce qui était en son pouvoir pour que ça n’arrive pas.
‒ Pour que ça
n’arrive jamais.
Ah, ça, moi
aussi ! Évidemment ! Moi aussi. Mais on n’était pas complètement
maître de ce qui pouvait se passer. À n’importe quel moment, tout pouvait
déraper. D’une façon ou d’une autre.
‒ Tiens, moi,
par exemple, je supporte pas l’injustice. Qu’on en fasse preuve devant moi et
je dégoupille complètement. Je regarde pas si c’est un prof ou qui que ce soit
d’autre. Je fonce dans le tas. Je dis ce que j’ai à dire. C’est plus fort que
moi. Sans me préoccuper de savoir si ça risque pas de me retomber sur le coin
de la figure. Pareil pour toi, j’imagine. Il y a sûrement des trucs qui te font
sortir de tes gonds. Non ?
‒ Quand je me
mets en colère, je me mets vraiment en colère. C’est rare, mais, dans ces
cas-là, on a intérêt à se garer. Je peux être redoutable.
‒ Ah, ben tu
vois ! On n’est pas à l’abri, ni l’un ni l’autre, de s’en ramasser une un
jour.
J’ai soupiré.
‒ Devant toi,
comment j’aimerais pas ça !
‒ Et moi,
donc !
J’ai posé ma tête
sur son ventre. J’ai lentement approché mes doigts de sa queue qui s’est
dressée, toute fière, avant même que je l’aie touchée.
Et on a refait
l’amour.
Et Iourievna ? On la connait
Je crois, Elena nous l'a longuement présentée mais si vous êtes passés à côté, voici le premier épisode de la série : le chapitre 1
Il y a un début à cette série
Mais si vous voulez lire ce récit d'un autre point de vue : les rebelles chapitre 4
Et la suite ?
François nous la prépare pour la semaine prochaine
N'hésitez pas pour les commentaires
Tout le monde les attend : que pensez-vous de cette série croisant l'imaginaire d'Elena et celui de François.
Bonjour François
RépondreSupprimerAvec ce texte, vous nous apportez un éclairage sur les relations et les traits de caractère que e n'avais pas si bien décrits. Merci pur toutes ces précisions. C'est vraiment agréable à lire.
Amitiés.
Elena.
Bonjour Elena. Et bonjour à tous.
RépondreSupprimerJe crois que la relation entre Olga et Théo va effectivement prendre de l'ampleur au fil des épisodes. Ils me semblent bien faits pour aller ensemble, ces deux-là!
En tout cas vos textes'souches sont toujours aussi inspirants.
Amicalement François