jeudi 30 janvier 2020

Le journal d'Olga - chapitre 5

On était dans la chambre de Théo. Sur son lit. Blottis l’un contre l’autre dans la pénombre. On venait d’avoir notre plaisir, intensément, et on reprenait doucement pied.
Je lui ai déposé un baiser au coin des lèvres.
« On se connaît pas tant que ça, toi et moi, finalement !
‒ Pas bien, non. Mais ça peut facilement s’arranger.
Je me suis serrée un peu plus fort contre lui.
‒ Parle-moi de toi ! Dis-moi des trucs.
‒ Quoi, comme trucs ?
‒ Je sais pas, moi ! Par exemple, pourquoi t’es à Sainte-Croix ?
‒ Oh, ça…
Il s’est soulevé sur un coude.
‒ Ça, c’est tout bête. Pas original pour deux sous. Comme tu le sais, j’ai vingt ans. Et deux ans de retard. Ce qui est de ma faute. Entièrement de ma faute. Parce que j’ai une nature à me disperser dans tous les sens. Une fois une chose, une fois une autre. J’ai une multitude de centres d’intérêt en fait. Qui m’accaparent complètement. Et une fâcheuse tendance, du coup, à faire passer mes études au second plan.
‒ Comme ma sœur. Comme Iourievna. Exactement pareil.
‒ Seulement, pour être vétérinaire…
‒ Ah, parce que tu veux être vétérinaire ? C’est chouette. Par contre…
‒ Il faut bosser, oui. Et, au long cours, si on ne m’y contraint pas, j’en suis totalement incapable. Mes parents ont bien fait ce qu’ils pouvaient. Je me suis ramassé une quantité de fessées mémorables qui, au bout du compte, n’ont servi strictement à rien. Sur le coup, oui ! Ça faisait mal, oui, bon, ben voilà. Deux jours après, c’était complètement oublié. Et je repartais à la dérive.   Exactement comme avant.
‒ Peut-être qu’ils tapaient pas assez fort ?
‒ Peut-être. Mais ce qu’il y a surtout, je crois, c’est que ça se passait en petit comité. Juste mes parents et moi. Et, éventuellement, mon frère Norbert. C’était tout. Et moi, ce qui m’épouvante dans la perspective d’une fessée, ce qui me terrorise littéralement, c’est qu’il puisse y avoir des témoins. Ça, à mes yeux, c’est la honte absolue. Rien qu’à l’idée que c’est quelque chose qui pourrait m’arriver, je perds complètement pied. Je me liquéfie littéralement J’ai longuement réfléchi du coup et je suis arrivé à la conclusion que, si je voulais atteindre l’objectif qui me tient à cœur, je n’avais pas trente-six solutions. Il fallait que je prenne le taureau par les cornes. J’avais entendu parler de Sainte-Croix, de la façon dont y était tenu. Dont on vous y obligeait, tout à la fois, à travailler et à bien se comporter. Et, après avoir malgré tout pas mal hésité, j’ai décidé, de moi-même, de m’y inscrire. Ce à quoi tu penses bien que mes parents ne se sont pas opposés. Ils ont au contraire applaudi à deux mains.
‒ Et, résultat des courses, maintenant tu te balades tranquille en tête de classe.
‒ Et pour cause ! Je sais pertinemment ce qui m’attend si mon travail laisse à désirer. Et si je ne veux pas être honteusement déculotté et fessé, comme un gamin, devant tout le monde…
‒ Et surtout devant les filles, je suppose. T’as pu constater par toi-même, comment ça nous déchaîne, nous, de voir les types gigoter et bramer, quand on les fouette.
‒ Ah, ça ! On peut pas dire que vous fassiez dans la dentelle.
‒ Oui, mais c’est aussi une façon de nous venger de tout ce qu’ils nous font subir au quotidien et de la façon dont ils nous reluquent et salivent quand c’est nous qu’on y attrape. N’importe comment…
‒ N’importe comment ?
Je me suis enflammée.
‒ Il faut que ça fasse honte une fessée, pas seulement mal, mais vraiment honte, intensément honte, si on veut que ce soit efficace et que ça nous fasse changer.
‒ Tu prêches un convaincu.
Et ça, ça dépend énormément de ceux qui assistent à la correction. De la façon dont ils réagissent et se moquent. Pour le bien de celui ou celle qui ramasse finalement. Ils le savent bien à la direction, va ! Sinon, pas besoin de t’en faire qu’ils les feraient pas donner en public, les fouettées. Et de façon aussi humiliante.
‒ T’en as déjà reçu, toi ?
‒ Ici, à Sainte-Croix ? Jamais, non. C’est passé fin une fois, mais j’ai réussi à y échapper.
‒ Et ailleurs ?
‒ Ailleurs ?
J’ai marqué un long temps d’arrêt. Lui raconter ? Dans un sens, ça ne me tentait pas. Pas du tout. J’avais peur du jugement qu’il allait porter sur moi, mais dans un autre, si je me mettais déjà à lui cacher des trucs alors que ça commençait tout juste entre nous…
Et je me suis lancée.
‒ Ailleurs, oui.
Il s’est appuyé sur un coude, a cherché mes yeux.
‒ Je t’écoute…
‒ C’était cet été. Au mois de juillet. Pour se faire un peu de sous, on était allées, Iourievna, Mylène, Margaux et moi, aider à la cueillette des fruits, du côté de Digne. Ça se passait bien, il y avait une bonne ambiance. Et puis l’idée qu’on allait disposer d’une jolie petite somme pour nous payer, tout au long de l’année, ce qui nous ferait envie nous motivait tout particulièrement. Question boulot proprement dit, les consignes étaient strictes. Tout était calculé pour que les fruits ne soient pas endommagés. Mais nous, voulant gagner du temps, on a eu la lumineuse idée d’apporter les cagettes jusqu’à la remorque en les superposant par cinq ou six. Et en se mettant à deux pour les porter. Ce qu’on nous avait formellement interdit. Ah, effectivement, ça nous a évité des tas d’allers et retours, ça ! Jusqu’au moment où, patatras, tout un chargement a chaviré sous les yeux horrifiés de la directrice de l’exploitation. Et de Mariette, la responsable du groupe. La quasi-totalité des fruits était perdue.
‒ Aïe !
‒ On a eu beau s’excuser platement, jurer que ça ne se reproduirait plus, elle était remontée comme une pendule contre nous, la directrice. Et son fils aussi. Sans parler de Mariette qui, responsable du groupe, en faisait une affaire personnelle. Ils parlaient de nous virer. Sans salaire. Ah, mais c’est que ça le faisait pas, ça ! Pas du tout. On a tellement supplié qu’ils ont fini par accepter de passer l’éponge, mais à une condition, c’est qu’ils nous donnent une bonne correction, à toutes les quatre, cul nu, devant tous les employés. On a bien renâclé, discuté, supplié, mais il n’y a rien eu à faire. Ils se sont montrés intraitables et, au final, après nous être concertées toutes les quatre, on a décidé d’en passer malgré tout par où ils le voulaient. Pas le choix : on avait bien trop besoin de cet argent. Et on ne se voyait pas, en plus, devoir expliquer à nos parents qu’on s’était fait virer comme des malpropres.
Je me suis interrompue. C’était pas vraiment facile à évoquer tous ces souvenirs. Ça faisait remonter tellement de choses ! Mais, d’un autre côté, maintenant que j’avais commencé…
Il s’est penché sur moi, tout tendre, tout amoureux, m’a caressé la joue.
‒ Continue !
‒ Le moment fatidique a fini par arriver. Forcément. Et il a fallu qu’on se déculotte, là, devant tous les saisonniers réunis. On leur avait évidemment tourné le dos, mais ça a quand même été une sacrée épreuve.
‒ J’imagine…
‒ T’as beau essayer de faire le vide dans ta tête, dans ce cas-là, chercher à t’absenter de toi-même, tu peux pas t’empêcher d’être à l’affût. De la moindre réflexion. Du moindre rire. De la moindre moquerie. Tu tends l’oreille, c’est plus fort que toi. Et il y en a eu. Des quantités. Plus ça allait et plus il y en avait. Surtout quand Mariette s’est mise à nous fouetter, l’une après l’autre, avec la sangle. Ça aussi, c’est horrible. Parce que t’entends que ça claque sur les fesses de ta voisine. Elle crie, elle gigote et tu sais qu’il ne te reste plus que quelques secondes avant que ce soit sur toi que ça dégringole, avant que tu ne te donnes à ton tour en spectacle. Et je peux te dire qu’elle faisait pas semblant, Mariette ! Non, mais comment elle y allait ! Elle se vengeait en fait. Parce qu’elle avait pas apprécié, mais alors là pas du tout, que ce soit dans son groupe qu’il ait eu lieu, cet incident des fruits gâchés. Alors elle nous faisait payer le prix fort à nous, les coupables. Elle tapait, mais elle tapait !
Je me suis encore arrêtée. J’ai fermé les yeux. Les images me revenaient. Les sensations. J’ai frissonné.
‒ Tu sais, Théo, quand c’est comme ça, que la douleur devient insupportable, il te faut absolument un répit, ne fût-ce que de quelques secondes et tant pis pour la pudeur. Tant pis pour tout. T’en as plus rien à foutre de rien. Et tu te retournes. Devant tout le monde. En te massant les fesses et en te disant qu’elle osera pas te cingler devant. Elle l’a pas fait, non, mais elle m’en a menacée, et avec un air si déterminé, que je me suis empressée de reprendre ma position initiale. Et elle m’a finie. On peut dire ça comme ça. Elle m’a finie. Sans tenir aucun compte ni de mes hurlements ni de mes supplications. T’aurais vu l’état de mon derrière, après ! C’était toute la surface qu’avait ramassé. Entièrement. Et même le haut des cuisses.
‒ Ma pauvre !
Il compatissait. Il compatissait vraiment. Je le voyais dans ses yeux.
‒ Et j’étais pas encore au bout de mes peines. Parce qu’ils ont voulu qu’on passe l’après-midi comme ça. Sans se rhabiller. « Que ça vous serve de leçon. Et que ça serve d’exemple aux autres. » Tu parles qu’ils demandaient pas mieux, les autres ! Surtout les mecs, évidemment. Vu que pour déposer, délicatement, les fruits dans les cagettes, on était obligées de se pencher en avant. Du coup, ils avaient une vue imprenable à la fois sur nos fesses écarlates et sur nos replis les plus intimes. Ah, pour en profiter, ils en ont profité, ça ! On en avait toujours trois ou quatre derrière notre dos. Et ça y allait bon train, les commentaires !
‒ C’est fini maintenant. C’est du passé. N’y pense plus !
Je lui ai pris la main.
‒ Ben si ! Si ! Forcément que j’y pense. Pas tout le temps, non, heureusement, mais j’y pense. Oh, et puis tu sais maintenant, avec le recul, je vois les choses un peu différemment. Sur le moment, je leur en ai voulu. Énormément. Je trouvais que la punition était disproportionnée par rapport à l’imprudence qu’on avait commise. Mais en fait, non. C’était amplement mérité ce qui nous est arrivé, finalement. Parce qu’on nous avait prévenues, à maintes reprises, qu’il ne fallait pas les empiler les cagettes, que c’était trop risqué, mais on a voulu se montrer plus malignes que tout le monde. Et c’est ça, en réalité, le vrai motif de la punition qu’on a reçue, c’est d’avoir voulu n’en faire qu’à notre tête malgré les mises en garde répétées. Et c’est mon grand défaut à moi, ça. Je n’écoute rien ni personne. Jamais. Oh, bien sûr, en apparence je suis la gentille petite fille bien sage. Bien ordonnée. Bonne travailleuse. Mais en réalité par-derrière je n’en fais qu’à ma tête. Alors quand, de temps à autre, on me prend sur le fait, qu’on me punisse, ça me remet les pendules à l’heure et, c’est pas forcément facile à admettre ni à avouer, mais c’est me rendre un sacré service.
Il m’a encore tendrement embrassée. Et puis il s’est levé.
‒ Je vais nous chercher quelque chose à boire. Tu veux quoi ? Un coca ?
‒ Va pour un coca.
Et il a filé, tout nu, vers la cuisine. Je l’ai suivi des yeux. Quelles adorables petites fesses il avait ! J’ai souri. Il fallait que je le garde, ce type ! Ah, oui, alors ! Parce que non seulement il était beau, non seulement il me faisait grimper aux rideaux, mais, en plus, je pouvais lui dire, à lui, des choses que je n’avais jamais dites à personne. Tout était simple avec lui. Tout allait tranquillement de soi. Tout était évident. Seulement… seulement inutile que je me berce d’illusions. J’allais avoir de la concurrence. Tout un tas de filles allaient faire des pieds et des mains pour s’efforcer de me le subtiliser. Et, en tout premier lieu, Iourievna. Ma propre sœur, oui. Aux yeux de laquelle n’était réellement précieux que ce qui m’appartenait. Dont il lui fallait alors systématiquement me dessaisir, d’une façon ou d’une autre, pour se l’approprier. Elle voudrait, ça ne faisait pas l’ombre d’un doute, s’emparer de Théo comme elle avait voulu jadis s’emparer de mes poupées, de mes copines ou de mes bandes dessinées. Oh, mais Iourievna, normalement je devais pouvoir gérer. Je la connaissais par cœur. Et j’avais l’habitude depuis le temps. Je savais comment désamorcer la mèche. Non, le vrai danger, il venait d’ailleurs. Des autres. De toutes les autres. De toutes celles qui n’allaient pas manquer de tomber sous son charme et qui voudraient tenter leur chance en se fichant pas mal de savoir si j’étais en couple avec lui ou pas.

Il est revenu. On a siroté tranquillement notre coca.
‒ Tu crois qu’on sera punis, nous aussi, un jour, à Sainte-Croix ?
Il en savait rien. Il espérait bien que non. En ce qui le concernait, en tout cas, il allait faire tout ce qui était en son pouvoir pour que ça n’arrive pas.
‒ Pour que ça n’arrive jamais.
Ah, ça, moi aussi ! Évidemment ! Moi aussi. Mais on n’était pas complètement maître de ce qui pouvait se passer. À n’importe quel moment, tout pouvait déraper. D’une façon ou d’une autre.
‒ Tiens, moi, par exemple, je supporte pas l’injustice. Qu’on en fasse preuve devant moi et je dégoupille complètement. Je regarde pas si c’est un prof ou qui que ce soit d’autre. Je fonce dans le tas. Je dis ce que j’ai à dire. C’est plus fort que moi. Sans me préoccuper de savoir si ça risque pas de me retomber sur le coin de la figure. Pareil pour toi, j’imagine. Il y a sûrement des trucs qui te font sortir de tes gonds. Non ?
‒ Quand je me mets en colère, je me mets vraiment en colère. C’est rare, mais, dans ces cas-là, on a intérêt à se garer. Je peux être redoutable.
‒ Ah, ben tu vois ! On n’est pas à l’abri, ni l’un ni l’autre, de s’en ramasser une un jour.
J’ai soupiré.
‒ Devant toi, comment j’aimerais pas ça !
‒ Et moi, donc !
J’ai posé ma tête sur son ventre. J’ai lentement approché mes doigts de sa queue qui s’est dressée, toute fière, avant même que je l’aie touchée.
Et on a refait l’amour.



Et Iourievna ? On la connait

Je crois, Elena nous l'a longuement présentée mais si vous êtes passés à côté,  voici le premier épisode de la série : le chapitre 1

Il y a un début à cette série

Le chapitre 1
et l'épisode précedent : chapitre 4
Mais si vous voulez lire ce récit d'un autre point de vue : les rebelles chapitre 4

Et la suite ?

François nous la prépare pour la semaine prochaine

N'hésitez pas pour les commentaires

Tout le monde les attend : que pensez-vous de cette série croisant l'imaginaire d'Elena et celui de François.

2 commentaires:

  1. Bonjour François
    Avec ce texte, vous nous apportez un éclairage sur les relations et les traits de caractère que e n'avais pas si bien décrits. Merci pur toutes ces précisions. C'est vraiment agréable à lire.
    Amitiés.
    Elena.

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  2. Bonjour Elena. Et bonjour à tous.
    Je crois que la relation entre Olga et Théo va effectivement prendre de l'ampleur au fil des épisodes. Ils me semblent bien faits pour aller ensemble, ces deux-là!
    En tout cas vos textes'souches sont toujours aussi inspirants.
    Amicalement François

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