jeudi 21 mai 2020

Le journal d'Olga - chapitre 17

L’été jouait les prolongations. Et l’envie nous est venue, ce samedi-là, d’aller faire à nouveau un saut toutes les six, Lyana, Moana, Elena, Ekaterina, Iourievna et moi, à la plage naturiste de l’Argens.
Le temps de s’installer. D’étaler les nattes de plage. De s’enduire mutuellement de crème solaire et Moana a constaté.
« Ils sont pas là.
 Qui ça ?
 Ben, les jeunes de l’autre fois, tiens ! Ceux qu’avaient mis la pagaille.
Oui, oh, ben alors ceux-là, on n’était pas près de les revoir.
 Après la fessée qu’ils se sont prise, ils doivent sûrement pas avoir envie de repointer le bout de leur nez.
Lyana a fait couler du sable entre ses doigts.
‒ Comment c’était trop la honte pour eux.
Elle s’est redressée. Appuyée sur un coude.
‒ N’empêche… Je sais pas vous, les filles, mais moi, c’est souvent que je me la repasse, la vidéo de ce jour-là.
Nous aussi. Ah, ben ça, oui ! Toutes, on le faisait. Toutes les six. Parce que, dans le feu de l’action, il y avait des tas de détails auxquels on prêtait pas vraiment attention. Ou sur lesquels on n’avait pas le temps de s’attarder. Tandis que là, à tête reposée…
Et puis fallait bien reconnaître aussi que c’était super excitant de les regarder, en boucle, se tortiller et gigoter sous les claquées.
Iourievna a proclamé.
‒ Surtout Lisendro !
D’un tel ton convaincu qu’on a toutes éclaté de rire.
‒ Ben oui, attendez ! J’arrête pas de me le remettre, lui. J’aime trop ça comment il braille. Et puis les garçons, c’est toujours bien de les voir rabaissés. Ils se croient tellement supérieurs à nous…
Moana, elle, c’était sur Lucia qu’elle s’attardait.
‒ Parce qu’elle tient tête. Qu’elle veut jouer les héroïnes. Et qu’au final, elle est obligée de s’avouer vaincue. C’est beaucoup plus humiliant que quand on se met à se débattre et à pleurnicher tout de suite, moi, j’trouve !
Elle a soupiré.
‒ J’adore. »

N’empêche qu’on lui devait une fière chandelle, à Iourievna, mine de rien. Parce que si elle était pas allée, au flan, trouver le vieux qu’avait filmé, jamais on l’aurait eue, cette vidéo.
Elle a joué les modestes.
« Oui, oh ! C’était pas bien compliqué. Je jouais sur du velours. Parce que les types de son âge, les petites jeunes, ça les fait toujours fondre. Il me fait trop rire, d’ailleurs. Parce que c’est sans arrêt qu’il m’appelle maintenant. Ou qu’il m’envoie des textos.
Ah, ça, je pouvais confirmer, oui. Jusqu’à des deux heures du matin ça durait des fois.
Ce qui a stupéfié Moana.
‒ Mais qu’est-ce qu’il te raconte ?
‒ Oh, plein de choses. De fessées il me parle. Pratiquement que de ça. Il sait qu’il s’en donne à Sainte-Croix. Alors il veut me faire dire que j’y ai droit, moi aussi. Mais je pousse les hauts cris. Jamais de la vie ! Manquerait plus que ça ! Et puis quoi encore ?
‒ S’il savait !
‒ Et il veut absolument que je lui promette que si jamais j’en reçois une un jour, je lui raconterai. Tout. Bien en détail. « Tu me dois bien ça ! » Je lui dis que oui, oui, bien sûr ! Mais il peut toujours courir, alors là !
‒ Faudrait pas qu’il finisse par devenir lourd !
‒ Je crois pas, non ! À mon avis, c’est surtout un gros fantasmeur. Parce qu’à l’entendre, il est responsable de la sécurité dans un célèbre château du coin et il flanque des fessées cul nu aux resquilleurs qui se faufilent pour visiter sans billet. Même qu’il en a soi-disant encore collé une le week-end dernier à un garçon et à une fille. Qu’est-ce qu’il y a, Elena ? Pourquoi tu te marres ?
‒ Parce que c’est vrai.
‒ Qu’est-ce t’en sais, toi ?
‒ J’y étais. Le garçon, c’était Axel, votre voisin. Et la fille, Agathe, sa copine.
‒ Quoi ! Et tu nous as rien dit !
‒ On s’est à peine vues cette semaine.
‒ Oui, mais quand même ! Quand même ! T’aurais pu trouver un moment pour venir nous en toucher un mot, non ?
Lyana nous a interrompues.
‒ Bon, les filles, vous réglerez vos problèmes après. Si vous la laissiez raconter plutôt ?
‒ Mais oui, allez ! Vas-y, Elena ! On est tout ouïe.

Elle s’est éclairci la voix.
‒ Il y avait longtemps qu’elle avait envie de le voir, Agathe, ce château. Sans arrêt elle en parlait. Et alors là, plutôt que de rester à tourner tout l’après-midi en rond en se demandant ce qu’on allait bien pouvoir faire, on a décidé de s’y pointer.
‒ C’est loin ?
‒ Une quarantaine de kilomètres. À peu près. On a pris le car. Et c’est vrai qu’il a de la gueule. Sauf qu’il y avait déjà une visite en cours. Et qu’il fallait attendre près d’une heure et demie avant que la deuxième commence. Alors du coup, pour tuer le temps, on est descendus faire un tour sur la plage. Et c’est là qu’il a eu l’idée, Alex. Comme, au cours de la visite, à un moment on devait emprunter l’escalier qui y descend à la plage, il s’est dit qu’il suffisait d’en profiter pour se joindre discrètement au groupe de touristes, comme si de rien n’était, ce qui nous éviterait à la fois de perdre du temps à attendre et d’avoir à payer les billets. Elle était pas très chaude, Agathe. Moi non plus. Mais elle a fini par se laisser convaincre. Pas moi. J’ai hésité, mais non. Non. Je tenais pas à avoir des histoires, surtout après tout ce qui m’était arrivé récemment à Sainte-Croix. Et je leur ai dit que je les retrouverais à l’intérieur avec le groupe suivant. Sauf que le premier groupe est sorti avant que nous, le deuxième, ce soit à notre tour d’entrer. Et qu’ils n’étaient pas avec. Je me suis dit que bon, sûrement ils s’étaient cachés quelque part à l’intérieur. Que j’allais les y retrouver. Mais ils n’étaient nulle part et je n’ai pas pu profiter de quoi que ce soit. Ça avait l’air beau pourtant. Mais j’étais trop inquiète. Je n’arrêtais pas de me demander ce qui avait bien pu leur arriver et ce qu’ils étaient devenus. La réponse, c’est une guide qui me l’a donnée, à la fin de la visite, quand je me suis retrouvée toute seuls sur l’esplanade. « T’étais avec des amis, non ? Un garçon et une fille. » J’ai confirmé, oui. Même que je me demandais où ils avaient bien pu passer. « Ils ont eu un petit souci. Et ils ont demandé à ce qu’on te prévienne. Viens avec moi ! » Elle m’a entraînée, par un dédale de couloirs, jusqu’au poste de sécurité du château où je me suis retrouvé nez à nez avec le responsable. Et… c’était lui ! Sans l’ombre d’un doute possible. C’était lui. Le type d’Iourievna.
Qui a protesté.
‒ C’est pas mon type, alors là ! Ce vieux ! Non, mais ça va pas, non !
Lyana s’est étonnée.
‒ Il t’a pas reconnue ?
‒ Il m’avait vue que de loin. Et puis il avait pas vraiment fait attention à moi.
Moana s’est impatientée.
‒ Bon, mais après ? Vas-y ! Raconte ! On a hâte. Qu’est-ce qu’il s’est passé ?
‒ Oh, ben il a commencé par me dire qu’il en avait par-dessus la tête des petits resquilleurs. « Parce que c’est tous les jours qu’il faut qu’on leur fasse la chasse. Tous les jours ! » Alors ça allait être les gendarmes. En direct ! J’ai bien essayé de plaider leur cause. Oh, non ! Pas les gendarmes ! Non ! Ils allaient avoir un casier après. Et puis, connaissant leurs parents, ils prendraient vraiment très, très mal la chose. « Ils avaient qu’à y réfléchir avant ! » Oui, j’étais bien d’accord avec lui, mais il y avait peut-être une autre solution… « Ah, oui ! Et laquelle ? » Je savais pas, mais…
Iourievna a éclaté de rire.
‒ Tu parles que tu savais pas ! À d’autres !
‒ Mais peut-être qu’une bonne fessée à la place… Comment ils se sont mis à briller, ses yeux, d’un coup. Mais il a quand même fait semblant d’hésiter avant de me lâcher… « Si tu réussis à les convaincre… » Du bout des lèvres. D’un petit ton indifférent. Presque comme s’il en avait rien à foutre.
‒ Non, mais quel hypocrite !
‒ Et je suis allée les rejoindre. Ils m’ont sauté au cou. En larmes. « Quels idiots on a été ! Quels idiots ! Et on t’a gâché la journée, en plus, avec nos bêtises. » Ça encore, c’était pas trop grave. Je m’en remettrais. Non. Ce qu’il fallait surtout maintenant, c’était trouver une solution pour les sortir de ce mauvais pas. Alors ce qu’il avait proposé le responsable de la sécurité…
‒ À qui t’as fait porter le chapeau. T’as une de ces façons de retourner la situation, toi ! T’avais autant envie que lui de leur voir fouetter le derrière, hein, finalement ! C’est ça !
Ekaterina a volé à son secours.
‒ Ben, je la comprends, attends ! Ils étaient partis pour passer une bonne petite journée, tous les trois ensemble, et ils ont tout saboté. Alors qu’elle ait eu envie de le leur faire payer, c’était bien un peu normal, non ?
J’ai aussi mis mon grain de sel.
‒ Oui, oh, et puis…
‒ Et puis quoi, Olga ?
‒ Non, rien.
‒ Mais si, dis !
‒ Ils sont pas à Sainte-Croix, Axel et Agathe. Alors les probabilités pour les voir s’en prendre une, elles sont quasiment nulles. Il y a eu une opportunité : elle l’a saisie au vol. Sûrement que j’aurais fait la même chose à sa place.
Les autres aussi, elles l’auraient fait. Toutes.
‒ Ben, oui, attendez ! Pas la peine de jouer les hypocrites.
Presque toutes. Parce qu’Ekaterina, elle, elle était pas vraiment sûre.
‒ J’aurais culpabilisé, je crois.
Iourievna s’est agacée.
‒ Bon, mais si on la laissait continuer, Elena ? On arrête pas de l’interrompre. Allez, vas-y, toi ! Ça s’est passé comment ? Ils ont pas renâclé ?
‒ Si, un peu, forcément ! Surtout Agathe. Qui n’arrêtait pas de répéter qu’elle en avait jamais eu de fessée.
‒ Comme si c’était un argument !
‒ Mais, au bout du compte, ils ont quand même admis que ça valait nettement mieux qu’une plainte déposée contre eux. Qui les suivrait toute leur vie. Et finalement, puisqu’ils étaient d’accord, ils se sont retrouvés dans une tour du château, un peu à l’écart, où le responsable de la sécurité leur a annoncé que c’étaient les deux guides femmes qui allaient se charger d’exécuter la sentence. Et il leur a ordonné d’enlever le bas. Mais là, Agathe s’est mise à protester. Pas question qu’elle retire sa culotte. Alors là, sûrement pas ! Et il a fallu qu’Axel intervienne. « Arrête tes simagrées ! Tu préfères qu’on se retrouve chez les gendarmes ? Que tes parents soient mis au courant. Et qu’en plus on passe pour des voleurs aux yeux de tout le pays. C’est ça que tu veux ? » C’était pas ça, non ! Et elle l’a retirée, sa culotte. Avec mille contorsions et en se dépêchant de se cacher honteusement de ses mains dès qu’elle l’a eue complètement enlevée. Ce qui l’a bien fait rire, le type. D’un rire moqueur.
‒ Et Axel ?
‒ Oh, ben lui, il a pas fait tant d’histoires ! Et il bandait. C’était d’être à poil devant les deux femmes, sûrement. Surtout qu’elles étaient mignonnes.
‒ Elle est comment sa queue ?
Lyana a soupiré.
‒ T’es vraiment incorrigible, Iourievna, hein !
‒ Quoi ! C’est mon voisin. Faut bien que je me renseigne. Normal, non ? Comme ça, chaque fois que je le verrai, je pourrai penser à comment il est fait.
Elena a haussé les épaules.
‒ Oui, oh, ben il y a pas de quoi crier au miracle. C’en est une comme on en voit des dizaines. Ni longue ni courte. Ni grosse ni petite. Sans rien de spécial. Bête à pleurer, quoi ! Ce qui l’a pas empêchée de brinquebaler dans tous les sens quand elles se sont mises à les fouetter, les deux autres !
‒ Oh, c’est génial, ça ! J’adore. Il a crié ?
‒ Oh, pour ça, oui ! Et pas qu’un peu ! Il a beuglé même, tu veux dire ! Mais faut reconnaître aussi qu’elles y mettaient tout leur cœur, les gardiennes ! Plus ça allait et plus elles se lâchaient. Vous auriez vu comment il était strié, son derrière ! De belles marques bien rouges, toutes boursouflées, qu’il va garder un bon moment. Agathe aussi. Elle, qui voulait pas retirer sa culotte, qui voulait pas qu’on voie son minou, ben c’était plutôt raté. Vu la façon dont elle sautillait et se contorsionnait. Il se régalait, le type de la sécurité. À un moment, c’est même devenu tellement insupportable pour elle qu’elle a voulu se protéger les fesses avec ses mains, mais ça les a pas arrêtées les deux autres. Elles ont cinglé dessus pour l’obliger à les retirer et elles lui en ont remis une bonne couche sur le derrière aussitôt après. Je peux vous dire qu’ils étaient dans un état, tous les deux, quand elles ont arrêté. Ils se sont écroulés par terre, tout recroquevillés sur eux-mêmes. Et ils demandaient pardon à tout le monde. À moi. Au chef de la sécurité.
Aux deux guides qui venaient de les fouetter. Ils ne pensaient même pas à se rhabiller, tellement ils étaient encore sous le coup de ce qui venait de leur arriver. Il a fallu que je les aide à se relever, que je les soutienne, que je leur renfile leurs vêtements. Mais ils n’en avaient pas fini pour autant. Parce que, quand on est sortis, il y avait foule au-dehors, à attendre le début de la visite. Et on a eu beau se faire aussi discrets que possible, il y a un groupe de Chinois qui s’est aperçu qu’ils avaient les cuisses marquées. Ce qui a déclenché leur hilarité et attiré l’attention d’autres touristes qui les ont montrés du doigt et y sont allés, eux aussi, de leurs rires et de leurs moqueries. On a quitté la cour du château en catastrophe. Pas question d’aller lézarder sur la plage. Ils n’auraient pas pu se mettre en maillot n’importe comment et seraient de toute façon restés constamment sur le qui-vive. Alors on a regagné l’arrêt de bus en empruntant des petites rues peu fréquentées.
C’est Iourievna qu’a eu le mot de la fin.
‒ Et voilà comment on fusille une journée. Bon, mais cela étant, je vais le voir d’un tout autre œil, moi, maintenant, ce type. Et je vais le caresser dans le sens du poil. Parce que je sens qu’il peut encore nous réserver bien des surprises. Sans compter que, s’il y a autant de resquilleurs qu’il le dit, on a tout intérêt à se pointer là-bas. Histoire de profiter, nous aussi, du spectacle.


Et Iourievna ? On la connait

Je veux ! Elena nous l'a longuement présentée mais si vous êtes passés à côté,  voici le premier épisode de la série : le chapitre 1

Il y a un début à cette série

Le chapitre 1
et l'épisode précédent : chapitre 16
Mais si vous voulez lire ce récit d'un autre point de vue : les rebelles chapitre 16

Et la suite ?

François nous a écrit le chapitre 18

N'hésitez pas pour les commentaires

Tout le monde les attend : que pensez-vous de cette série croisant l'imaginaire d'Elena et celui de François ?

5 commentaires:

  1. Réponses
    1. Bonjour, Caroline. Et bonjour à tous.

      Merci de votre lecture et de votre passage pour dire que vous avez aimé. Il est toujours bon de savoir que ce que l'on écrit est apprécié.
      Amicalement.
      François

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  2. Alors, moi, je n'en pense que du bien de cette série. Les dialogues vifs et percutants relèvent la saveur du texte, comme un condiment le ferait sur un plat.
    L'ensemble et notre collaboration sont très réussis.
    Amitiés.
    Elena.

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    Réponses
    1. Bonjour, Elena,

      Moi, je n'ai qu'une envie, c'est qu'elle n'ait jamais de fin, cette série. Qu'elle prolifère encore et encore. Mais ça, ça ne dépend que de vous.
      Amicalement.
      François

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    2. Bonjour François et bonjour à tous,
      Tant qu'il y aura des sujets à aborder et que nous prendrons plaisir à écrire, alors, elle continuera, cette série.
      Amitiés.
      Elena

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