jeudi 5 septembre 2019

Mes premières fessées - chapitre 5

Le soir, dans la chambre que j’allais désormais partager avec lui, Philibert s’est longuement désolé.
– Te voilà prisonnier ici ! Et c’est de ma faute tout ça. C’est de ma faute. Si je t’avais pas entraîné, cette nuit-là…
Oui, bon, on allait pas épiloguer là-dessus pendant des heures non plus.
– Ce qui est fait est fait. On peut pas revenir en arrière. Et ça sert à rien de se lamenter. Faut faire avec.
– Cela étant, ma mère n’est pas un monstre non plus, tu sais !
Je n’avais jamais prétendu une chose pareille.

– Elle veut mon bien. Elle a peur que je tourne mal. Et c’est vrai que, quand ça m’attrape, je fais vraiment n’importe quoi. J’ai beau essayer de me raisonner, c’est plus fort que moi. Et la seule chose qui soit vraiment efficace dans mon cas, tu sais ce que c’est. Pas besoin de te faire un dessin. Ça avait bien marché. Elle y était arrivée. Ça faisait deux ans que j’avais rien volé. Ou pratiquement. Deux ans que j’avais pas eu de problèmes avec les flics. Et il a fallu que je rencontre les autres idiots, là… Auxquels j’ai pas su refuser. Faut dire aussi qu’ils ont très vite compris sur quelle corde il fallait jouer avec moi. Il suffit qu’on me traite de trouillard, de dégonflé et on fait de moi tout ce qu’on veut. Et là, ils avaient mis la dose. Alors j’ai fini par foncer, tête baissée.
Pour leur prouver, et pour me prouver, que je n’étais pas un lâche. Sauf que c’est le genre de choses, le vol, auxquelles, quand t’en es sorti, il faut jamais que tu retouches. T’es mort sinon. Parce que t’y reprends goût. Et, très vite, tu peux plus t’en passer. C’est plus fort que toi. C’est tellement enivrant, tellement exaltant de jouer avec le feu. T’as bien vu, cet été, chez madame Lançon, dans quel état ça m’avait mis. Sauf qu’au final ça a lamentablement foiré. Et que je me retrouve à la case départ. Parce qu’elle me refaisait confiance, ma mère. Elle m’avait lâché du lest. Et j’ai tout fichu par terre. Tout ce que j’ai gagné à cette histoire, en plus de deux magistrales fessées, c’est que maintenant elle est bien décidée à me resserrer les boulons. On va être, toi et moi, sous haute surveillance. Elle ne nous laissera rien passer. Absolument rien. Elle nous punira chaque fois qu’elle l’estimera justifié. Et, si je veux être honnête avec moi-même, je peux pas vraiment lui donner tort.
Il a jeté un coup d’œil à son smartphone.
– Il va être onze heures.
Il a éteint. On s’est tu.
Il s’est écoulé quelques minutes et la porte s’est silencieusement entrebâillée.
– Bonne nuit, les garçons !
Elle s’est aussitôt refermée.

Je ne me suis pas endormi tout de suite. Mains sous la tête, les yeux grands ouverts, j’ai repensé à tout ce que Philibert venait de me dire. À la façon dont il s’était laissé influencer par ces types qui l’avaient fait rechuter. Est-ce que de moi aussi, comme le prétendait madame Dubreuil, on pouvait faire tout ce qu’on voulait ? J’ai longuement essayé de me convaincre du contraire. Non. Bien sûr que non. De ce que Philibert m’avait entraîné dans son équipée, elle avait hâtivement conclu que j’étais sa copie conforme. À tort. À tort vraiment ? Il y avait quelque chose, en moi, qui n’en était plus si sûr. Plus sûr du tout. Et il s’est mis à me revenir des souvenirs. De plus en plus nombreux. La fois où on avait « emprunté » un bateau et qu’il avait fallu que les sauveteurs en mer viennent nous chercher. Celle où, au lycée, on avait enfermé le prof de physique-chimie à double tour au laboratoire. Celle encore où… Il y en avait tant. Des quantités. Ce n’était pas, comme Philibert, que j’avais quelque chose à me prouver. Non. C’était que je redoutais, plus que tout au monde, de me singulariser. Alors je suivais. Quelles que soient les circonstances, quelles que soient les décisions que les autres avaient cru bon de prendre, et pour peu qu’ils aient l’air décidé et déterminé, je suivais. Je suivais toujours. Sans me poser de questions sur le bien-fondé ou la portée morale de ce qui était entrepris.
Et force me fut de reconnaître, après avoir tourné et retourné tout cela deux longues heures durant dans ma tête, que madame Dubreuil avait très probablement raison. Pour peu que je tombe entre les griffes d’individus particulièrement mal intentionnés, ou dangereux, je serais incapable de faire preuve de caractère. Je me laisserais entraîner. Et j’aurais tôt fait de me retrouver dans des situations impossibles. C’est ce qu’elle tenait absolument à m’éviter. Et j’ai éprouvé, à son égard, une longue bouffée de reconnaissance.

Quand je suis descendu déjeuner, le lendemain matin, Amélie se trouvait seule dans la cuisine. Attablée devant son bol de café au lait.
Elle m’a jeté un regard furieux.
– Ah, ben bravo ! Bravo !
Hein ? Quoi ? Qu’est-ce qu’il y avait ?
– Et il demande ce qu’il y a ! Non, mais attends ! Moi, je me fais une fête de ce que tu sois là, à la maison, avec nous. Je me dis que ça peut être sympa, qu’on peut être très complices tous les deux. Et toi, t’as rien de plus pressé que de faire le sournois et de me cacher des trucs.
– Quels trucs ?
– Fais bien l’idiot ! Elle t’a pas donné une fessée, ma mère, hier matin, quand elle est allée te chercher là-bas ?
– Si !
– Eh ben alors ! Et tu m’as rien dit ! Je suis passé te voir dans ta chambre pourtant quand t’es arrivé. Et tu m’as rien dit. Bon, ben tu vas me montrer pour la peine. C’est la moindre des choses.
Que je…
– Ah, ben si ! Si ! Et t’as intérêt. Parce que, sinon, je t’adresse plus jamais la parole. Et je vais t’en faire voir. T’as même pas idée de comment je vais t’en faire voir.
De sa part, j’en avais bien conscience, je pouvais m’attendre à tout. Absolument tout. Alors inutile d’en rajouter une couche. Ma situation était déjà suffisamment délicate comme ça. Et puis, de toute façon, elle les avait déjà vues, mes fesses. Alors un peu plus, un peu moins.
Je lui ai tourné le dos et je les ai mises à nu.
– Plus bas ! Encore ! Là…
Elle s’est approchée, penchée.
– Ah, oui, dis donc ! Elle y est allée de bon cœur. Et à la ceinture, s’il vous plaît ! Faut dire aussi que tu l’avais pas volé. Rond comme une queue de pelle t’étais, à ce qu’il paraît. C’est une habitude chez toi, on dirait, de te mettre minable. Parce que déjà, cet été, là-bas… Et ça, c’est un truc, elle supporte pas. Elle laisse pas passer. À chaque fois que tu remettras le nez là-dedans, tu y auras droit, tu peux t’y attendre.
Elle m’a effleuré la peau tout en haut des fesses. J’ai frémi.
– C’est super, la ceinture, n’empêche ! Ça laisse des marques magnifiques. Et des marques que tu vas garder un sacré moment. Vu comment elles sont incrustées. Pour une volée, c’était une volée, ça, on peut pas dire. Comment t’as dû piauler ! Non ?
– Un peu.
Elle a eu un petit rire moqueur.
– Un peu ? Je suis bien tranquille que t’as braillé comme un cochon qu’on égorge, oui ! En douce qu’elle est trop quand même ma mère dans son genre ! Elle aurait pu venir te faire ça ici. Que j’assiste… Non, parce qu’elle est la première à dire que, pour que ce soit efficace, une correction, ça doit se donner devant du monde et, à la première occasion… Oh, mais il y en aura d’autres. Avec toi, je suis sûre qu’il y en aura d’autres.
Son doigt s’est posé tout à l’extrémité d’une zébrure qu’elle a redessinée du bout de l’ongle. Elle est repartie dans l’autre sens. C’était un peu douloureux. Pas trop. Pas vraiment désagréable. Et même, venant d’elle, un peu excitant. Excitant, oui.
Elle a brusquement cessé.
Elle m’a contourné, jeté un coup d’œil en bas.
– Eh, mais c’est qu’il bande, ce salaud !
Et elle a éclaté de rire. Avant de me planter là.

J’ai peu à peu pris mes marques. Ce qui s’est avéré d’une extrême simplicité : chez les Dubreuil, il n’y avait guère de place pour l’improvisation. Tout était soigneusement codifié. Chaque journée était la copie conforme de la précédente. À l’exception du samedi, le jour des courses et du « grand ménage » auxquels il était hors de question que nous puissions, Philibert et moi, nous soustraire. Et du dimanche que nous devions impérativement passer, en totalité, en compagnie d’Amélie et de madame Dubreuil. Promenades, films, jeux de société, c’était selon.
Dans sa monotonie, je devais bien admettre que cette vie me convenait. Elle me rassurait. Pas d’à-coups. Rien d’inattendu. Jamais. Un climat et des conditions propices à mes études qui s’en trouvaient fort bien. N’eût été la menace permanente d’une éventuelle fessée, toujours possible, la situation m’aurait paru idyllique.

C’est arrivé un jeudi, fin octobre. J’étais sur le chemin de la fac quand, sur l’autre trottoir, quelqu’un m’a interpellé.
– Hou ! Hou ! Raphaël !
Quelqu’un qui a traversé à ma rencontre.
– Sylvain ! C’est pas possible. Mais qu’est-ce que tu fais là ?
– Ben, et toi ?
Cinq ans qu’on s’était perdus de vue. Cinq ans. Depuis le lycée. Où on était inséparables. Et puis ses parents avaient déménagé. En Colombie. Où il les avait suivis. On s’était écrit. Souvent, au début. De moins en moins. Presque plus. Plus du tout.
– T’es revenu ?
– Oh, il y a pas longtemps. Six mois à peine. On va prendre un café ?
Et comment qu’on allait prendre un café ! Et comment ! On a même, en prime, passé la journée ensemble. Ce qui impliquait, bien évidemment, que je sèche les cours. Que madame Dubreuil l’apprenne et mon compte serait bon. Ami perdu de vue ou pas, elle ne passerait pas l’éponge. Mais les probabilités pour que mon « manquement » lui revienne aux oreilles étaient quasiment nulles. Et c’est en toute tranquillité d’esprit que je me suis aventuré à la pêche aux souvenirs en compagnie de Sylvain.

On était à table, le soir, quand la sonnette a retenti.
Madame Dubreuil a froncé les sourcils.
– À cette heure-ci ! Qui ça peut bien être ?
Elle est allée voir. Il y a eu une voix. Jeune. Qu’il me semblait connaître.
– Entrez ! Il est là. Entrez ! C’est pour toi, Raphaël !
Clotilde ! Mais qu’est-ce que ?
– Ta petite camarade t’apporte les cours de la journée. C’est gentil, non ?
– Oui. J’ai vu que t’étais pas en amphi. En TP non plus. Alors je me suis dit que tu devais être malade et que tu voudrais peut-être les avoir sans tarder. Surtout qu’ils sont importants, ceux-là. Je suis d’abord passée où t’habitais avant, mais Quentin m’a dit que t’étais ici maintenant. Alors voilà.
Et elle m’a tendu une clef USB que je me suis empressé d’enfourner dans ma poche.
– Merci.
Madame Dubreuil s’est rassise.
– Tu peux m’expliquer ?
J’ai expliqué. J’ai essayé. Comme j’ai pu. Sylvain. Le lycée. La Colombie. La rencontre fortuite. J’ai noyé tout ça sous un flot de paroles.
Elle m’a sèchement interrompu.
– Et ça justifiait de sécher les cours ?
Oui. Non. Si ! C’est-à-dire…
– Tu n’as en aucun cas, primo à sécher les cours sans raison valable et dûment justifiée et, deuzio, à rencontrer qui que ce soit sans avoir au préalable reçu mon aval. J’avais pourtant été claire là-dessus, non ? Eh bien ?
– Si !
– Alors tu te déculottes…
Elle n’allait pas m’imposer ça ! Pas devant Clotilde ! Dont les regards éberlués couraient de l’un à l’autre. M’opposer ? Refuser ? Faire preuve d’un tant soit peu d’amour-propre ? Ce fut mon premier réflexe. Mais pour quel résultat ? Elle finirait, de toute façon, par triompher. Elle avait en main tous les atouts maîtres. Ce que j’allais y gagner, c’est une correction plus sévère encore. Peut-être même au martinet. J’allais offrir à Clotilde un spectacle terriblement humiliant. Mieux valait adopter, d’emblée, un profil bas. En passer, sans rechigner, par où elle le voulait.
– Bon, alors ! Tu te dépêches, oui ! J’ai pas que ça à faire.
Je me suis dépêché. J’ai baissé boxer et pantalon. En prenant bien soin de tourner le dos à Clotilde. Mais en faisant face, par la force des choses, à Amélie qui se trouvait à l’opposé. Qui a cherché mon regard. Qui l’a trouvé. Le sien jubilait.
– Approche !
Madame Dubreuil m’a saisi par les poignets, fait basculer en travers de ses genoux, m’y a calé.
– Mais c’est qu’il deviendrait docile, ce grand garçon ! C’est bien ! C’est très bien !
Elle m’a négligemment posé une main sur les fesses, l’y a laissée longuement traîner.
– Tu n’as rien à me dire ?
– Je suis désolé.
– Et de quoi donc ?
– De vous avoir désobéi.
– C’est tout ?
– Je vous demande pardon.
Une première claque est tombée. À droite. Pas très appuyée. Une autre. À gauche. Et j’ai tout de suite compris que ça allait être comme la toute première fois, à Saint-Raphaël. Qu’elle allait prendre son temps. Préparer scrupuleusement le terrain, le rendre réceptif, d’une extrême sensibilité avant de donner enfin sa pleine mesure. Elle s’est effectivement employée à couvrir méthodiquement toute la surface. Du centre à la périphérie. En étendant son champ d’action le plus au large possible. Tout en haut des fesses. Et sur les cuisses. Ces premiers coups étaient très supportables, mais je savais que ça ne durerait pas. De temps à autre, je levais les yeux sur Amélie qui me fixait en arborant un petit sourire goguenard. Je baissais aussitôt la tête en me jurant de ne pas la relever, mais c’était plus fort que moi : je recommençais. Et dire que, derrière, il y avait Clotilde. Deux ans maintenant que nous suivions, elle et moi, le même cursus. Que nous fréquentions les mêmes amphis, les mêmes bibliothèques, que nous déjeunions ensemble, parfois, au resto U. Nous nous entendions bien. Nous nous entraidions à l’occasion. C’était tout. Et maintenant elle était là, en train de regarder Madame Dubreuil me fesser comme un gamin, le cul à l’air. J’étais submergé par la honte. Anéanti.
Les coups se sont faits plus rapides, plus appuyés. J’ai serré les dents, me suis mordu les lèvres. J’ai serré les poings. J’ai mobilisé toute mon énergie. Ne pas me donner en spectacle. Encore plus forts, les coups. Encore plus rapprochés. Mal. Si mal. J’ai cédé d’un coup. J’ai crié. Comme un perdu. J’ai battu des jambes. Elle me les a immobilisées entre les siennes. J’ai hurlé de plus belle.
– Arrêtez ! Oh, arrêtez ! Je le ferai plus, j’vous promets.
– C’est moi qui décide.
Et elle a poursuivi, imperturbable. Elle a même encore accéléré la cadence, indifférente aux beuglements désespérés que je poussais.
– Là…
Enfin ! Elle m’a laissé me relever. J’ai dû faire un gros effort sur moi-même pour ne pas me donner le ridicule de me masser les fesses.
– Va te rhabiller !
Il m’a fallu, pour aller récupérer mes vêtements, faire face à Clotilde. Clotilde dont j’ai bien pris soin de ne pas croiser le regard.


Pour les distraits qui auraient loupé le début

Tout a commencé comme ça : chapitre 1
Et la semaine dernière, le chapitre 4
Et tous les autres chapitres sur la page "les auteurs invités"

Et la suite ?

Ce sera le chapitre 6

Les commentaires sont les bienvenus

François Fabien doit-il continuer dans cette direction ? Doit-il écrire un prochain épisode ?

2 commentaires:

  1. Bonjour Fraçois,
    Décidément, il les accumule, les bêtises, ce Raphael ! Ca aurait pu passer inaperçu, si Clothilde n'était pas venue apporter les cours à son camarade. Par esprit de camaraderie, elle a cru bien faire et bien, ce sont les fesses de Raphael qui ont payées la note et de quelle façon. Non seulement, Raphael s'en est pris une bonne, mais sous l'oeil attentif des demoiselles, qui n'en demandaient pas tant. Lorsqu'on est né sous une mauvaise étoile, il faut avoir soit de la chance, soit faire preuve de discernement. Raphael n'a ni l'un ni l'autre... Pour notre plus grande joie !
    Amitiés.
    Elena.

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  2. Bonjour Elena,
    En effet! Et des fessées, il va encore en recevoir. Méritées pour la plupart. Et, dans l'immense majorité des cas, devant ces demoiselles. Ces deux-là. Ou d'autres. Ce qui les rend plus humiliantes encore. D'autant qu'Amélie, pour laquelle il ne peut pas s'empêcher d'éprouver malgré tout de tendres sentiments risque d'être tentée de pousser le bouchon toujours un peu plus loin, de porter son humiliation à incandescence. Mais chut! N'en disons pas trop encore!
    Amicalement.
    François

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